Être un père sans être un « bon papa ». À propos de Lacan

Dans son livre « L’Avenir du père » (Albin Michel, 2019), Jean-Pierre Winter nous apprend que le grand Lacan (pour lequel il professe une admiration sans borne) « n’a pas été un bon papa, mais il a été un père » (p. 191). D’un psychanalyste qu’on a déjà cité et dont la paternité est le fonds de commerce, on pourrait entendre ce jugement de valeur comme un oxymore (signifiant que sans s’adonner aux câlineries, Lacan a donné à ses enfants des principes de vie : par exemple, le sérieux dans le travail, l’honnêteté dans le social, la fidélité à la parole donnée ou autres vertus classiquement médiatisées par les pères).

Mais pour illustrer son propos par l’observation, Winter s’empresse de raconter que la fille aînée de Lacan a fini par se suicider à 73 ans, après une vie affective de galère scandée par la quête désespérée d’un père qui, happé dans une histoire sentimentale lamentable, ne l’avait honorée que de visites en coup de vent où il se contentait d’entrouvrir la porte d’entrée avant de retourner chez sa seconde femme. « Cependant, une fois par semaine, il venait déjeune dans l’appartement qu’il avait quitté. Sa vie était ailleurs » (p. 195). Et JP Winter d’épiloguer : « sa réputation était déjà celle d’un génie » 1.

Outre que l’on peut émettre quelques réserves sur la réputation de Lacan comme « génie », on se dit que la gamine eût peut-être préféré avoir un père moins génial, mais plus présent… Un père moins mortifère et plus soucieux de donner la vie que de prêter l’oreille aux récriminations de Bobonne-bis…

 

  1. On peut penser que, pénible qu’elle soit parfois en pratique, cette situation est un classique dans une vie de couple. On aurait attendu d’un psychanalyste, « génial » de surcroît, qu’il fasse preuve en l’espèce d’une maîtrise minimum