Viagra et seins nus : il fallait oser…

Il en va des stimulants de l’érection comme des seins nus sur les plages.

Il suffit d’oser une fois pour déclencher la prolifération. Il a toujours été notoire que certains produits (par ex. les vasodilatateurs), avaient une telle action : si, en dépit des promesses évidentes du marché correspondant, on s’était longtemps refusé à franchir le pas, c’était en raison des risques iatrogènes parfaitement prévisibles. L’originalité du premier fabricant, en l’espèce, n’a donc pas tant été d’inventer un médicament finalement fort banal que de n’avoir pas craint de franchir le pas. Mais quelles garanties pour une telle audace ? Au moment même où Viagra était en développement, le fabricant justifiait un blâme sévère de la FDA, au motif – comme par hasard – de l’insuffisance de sa pharmacovigilance (SCRIP 21/05/96: 11). En parallèle, la même firme subissait un grave revers avec ténidap, antirhumatismal jusqu’alors massivement médiatisé comme une révolution sans précédent, mais dont les problèmes de tolérance, étonnamment minimisés au cours du développement, devaient justifier un refus d’enregistrement inhabituellement rédhibitoire des grandes administrations sanitaires (SCRIP 10-14/05/96: 22).

La multiplication trop rapide des concurrents confirme que la spécificité d’action de Viagra n’était pas aussi géniale que l’a accrédité un marketing inventif, mais laisse ouverte la question des risques. Il est préoccupant qu’en dépit d’antécédents de pharmacovigilance aussi problématiques, le fabricant de Viagra prétende désormais se positionner sur un plan de tolérance par rapport aux nouveaux venus du marché…

(Cet article est paru dans le Moniteur des pharmacies, 12/04/03, p. 39. Durant un à deux ans, j’ai disposé dans cet hebdomadaire d’une tribune de fait, dans la limite de 1 500 signes par article. C’était d’autant plus stimulant de respecter ces contraintes de forme que le journal en question était clairement un organe de promotion commerciale pour Big Pharma. C’était un bel exploit que d’insérer une authentique réflexion critique dans le minuscule espace qui m’était consenti. On admettra que malgré toutes ces contraintes, l’article est toujours d’actualité.)