Quand l’Ordre crée des déserts médicaux

Quand l’Ordre des médecins crée les déserts médicaux – L’exemple de la Mayenne

Il est notoire que certaines régions françaises souffrent d’une pénurie grave de médecins, conduisant à recruter soit des étudiants ayant échoué au concours, soit même des médecins étrangers baragouinant un français approximatif1. Voici quelques semaines, la presse locale faisait état des files d’attente occasionnées par la réinstallation d’un médecin retraité (qui avait dû finir par s’ennuyer), à côté desquelles celles occasionnées par l’enterrement récent de la Reine d’Angleterre avaient l’allure d’un aimable pique-nique. Il est non moins notoire qu’Internet fourmille de menaces sanitaires et d’offres de soins plus que douteuses qui devraient appeler une réaction ferme et coordonnée des professionnels.

Sans imaginer m’installer, je pensais donc être accueilli avec bienveillance quand les voisins de mon bled apprendraient ma décision d’y habiter : d’un naturel serviable, j’imaginais à tout le moins que je pourrais donner un coup de main pour démystifier ce qui doit l’être, pour prolonger une prescription, pour prescrire une boîte manquante en cas d’oubli lors d’un week-end, etc. Typiquement, ma voisine avait dû prendre une journée de congés pour faire renouveler sa prescription de pilule (et il m’était revenu de garder les gamins quand elle irait chez son généraliste lavallois). Titulaire d’un prix de thèse, j’avais fait mes études dans ce qui était le fief du Prof. Royer, successeur du Prof. Robert Debré : quoiqu’habitant Boulogne, j’avais été admis sur la base de mon CV prometteur à la prestigieuse Faculté Necker-Enfants Malades et ma thèse avait fait l’objet d’un prix. Habitant dans les Yvelines, j’avais obtenu ensuite sans problème mon inscription à l’Ordre départemental des Yvelines.

Parmi les réalisations professionnelles dont j’avais quelques raisons d’être fier, je citerai avoir été le premier à dénoncer l’arnaque de la grippe H1N1, n’avoir jamais varié sur la toxicité neurologique des vaccins contre l’hépatite B, avoir toujours soutenu que la pandémie Covid était une plaisanterie, m’être impliqué sur les pseudo-ravages de la maladie de Lyme, m’être battu contre la multiplication indue des vaccins (notamment celui contre le HPV), avoir été bien seul en documentant que même à doses normales, les pesticides/herbicides étaient dangereux, etc. Soucieux de faire les choses en règle lors de mon déménagement en Mayenne, j’avais donc demandé le transfert de mon dossier des Yvelines à la Mayenne.

Première surprise : pas moyen, à l’Ordre, de retrouver mon dossier. Intrigué, j’appris alors que, depuis 2007, j’avais été « radié pour convenance personnelle ». C’était d’autant plus étonnant que j’avais (j’ai toujours) ma carte professionnelle en permanence dans mon portefeuille, indicateur du fait qu’à aucun moment, je n’avais envisagé de sortir du système.

Ayant cru poli de venir me présenter au Président du Conseil départemental, je m’étais vu convoqué à l’Ordre de la Mayenne, histoire que les confrères du coin fassent connaissance avec moi – « en toute confraternité ». Un détail aurait dû attirer mon attention : j’étais supposé être présenté à mes confères du coin, mais en arrivant dans la salle du Conseil, ils ne daignaient même pas venir me saluer… Ils étaient tous « spécialistes en médecine générale », sans apercevoir le ridicule de cette dénomination.

Récapitulant mon CV, le procès-verbal de la séance du 07/06/22 constate que je n’avais pas exercé d’activité de soins depuis 1982, qu’en conséquence, il était légitime de « s’interroger sur les compétences du Dr Girard ». D’où la question non moins « légitime », mais qui n’avait pas effleuré mes interlocuteurs : si je n’avais pas exercé d’activité de soins depuis 1982, quelles avaient été mes sources de revenus2? Qu’avais-je bien pu faire ? C’est quand même l’époque où, pour ne citer que cet exemple, on me voyait tous les jours ou presque à la télé, dans des émissions aussi confidentielles que C dans l’air, où je me taillais souvent de francs succès.

Pressentant l’embrouille, je me tournais vers l’amie Bâtonnier chargée comme moi de cours à la Faculté de droit de Chambéry (avec comme programme attestant mon incompétence Techniques d’Expertise) pour lui demander ses lumières.

Elle mit rapidement le doigt sur le fait que je n’avais jamais payé ma cotisation, et que ce devait être la raison de ma radiation. Me prenant alors la tête à deux mains, j’essayais de comprendre comment j’avais pu omettre une démarche aussi cruciale que le règlement de mes cotisations, et je compris alors que je n’avais jamais reçu d’appel de cotisation ; je n’avais même pas la moindre idée du montant annuel d’une cotisation pour un médecin généraliste.

Après échanges avec divers amis et confrères, je décidais alors, pour attester ma bonne foi (i.e. je n’avais pas cherché à frauder), de proposer à l’Ordre le règlement de tout ou partie des cotisations non versées depuis 40 ans.

Persuadé d’avoir trouvé la solution à cet embrouillamini, je me présentais à l’Ordre régional avec mon carnet de chèques. Là, nouvelle surprise : je ne pouvais avoir été radié pour défaut de paiement de mes cotisations car, me dit-on, « l’Ordre est près de ses sous » et un défaut de paiement aurait dû motiver moult rappels, puis des menaces de poursuites judiciaires. Or, en 40 ans, je n’avais pas reçu le moindre rappel – mais j’étais radié…

Ainsi sonné par une mesure incompréhensible, j’eus la nouvelle surprise de me voir confronté à un véritable interrogatoire, dont le compte rendu est donné ci-après.

Commençons par les erreurs factuelles les plus facilement documentables.

  • Je n’ai jamais été « psychothérapeute », qui est un titre protégé : je me contente d’être psychanalyste. Quand on prétend analyser les compétences des professionnels de santé, il vaudrait mieux savoir à quoi elles correspondent.
  • Je n’ai jamais « demandé à être radié du tableau de l’ordre des médecins », et encore moins « pour convenance personnelle » : qu’on me fournisse une copie de cette demande.
  • Il y avait aussi une confusion entre « qu’est-ce vous prendriez » et « qu’est-ce que vous prescririez » qui présidait à une conversation informelle. Il est parfaitement exact que « je serre les dents » en cas de douleur intense (j’ai fait dans ma vie deux coliques néphrétiques sans rien prendre) mais je me vois mal dire à un patient qui souffre « serrez les dents »…

Concernant le cas clinique n°1, je considère que donner des antihypertenseurs, surtout chez un sujet âgé, est une aberration (sauf, bien sûr, en cas d’hypertension maligne – qui relève d’une compétence qui n’est ni la mienne, ni celle de mes confères généralistes). J’ai toujours en mémoire le cas de ce sujet âgé, considéré comme Alzheimer et retrouvant des fonctions cognitives d’avant car sevré par son fils compatissant de tous ses traitements – dont les antihypertenseurs qui entretenaient une hypoperfusion cérébrale. De plus, je tiens pour criminel, sauf cas particulier, de prescrire plus de trois médicaments chez un sujet donné, surtout s’il est âgé (et donc avec une grande incertitude sur le métabolisme des médicaments ingérés et leurs interactions). J’ai l’expérience de la gratitude des patients (ou de leur famille) après allègement des prescriptions.

Même remarque concernant le cas n°2. De plus, je n’ai pas en tête les valeurs dites « normales » des paramètres biologiques, qui sont listées à titre systématique par le laboratoire d’analyses dans la colonne de droite des résultats. En médecine, il y a suffisamment de paramètres à surveiller pour ne pas s’encombrer inutilement la mémoire en multipliant indûment leur nombre.

Quant au cas n°3, je n’ai pas été « tout à fait désorienté » et je l’ai envoyé pour surveillance à l’hôpital. Mais je pense que le plus judicieux aurait été de surveiller l’enfant : j’ai eu un petit-fils habitant en Angleterre et pour lequel les pédiatres ont toléré des convulsions fébriles fort impressionnantes jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de deux ans, sans aucune séquelle neurologique. J’ai toujours été perplexe (je pense même avoir écrit là-dessus) sur cette propension franco-française de prescrire des anti-épileptiques en couverture devant un épisode banal de convulsions fébriles, et force m’est de constater que mes confrères britanniques sont plutôt convergents. Mais les « experts » nantais ne lisent peut-être pas l’anglais…

J’ajoute que, lors de cette « expertise », j’ai insisté sur la continuité de la surveillance et la remise en cause du traitement en cas d’évolution plus compliquée que prévu : j’ai toujours pensé qu’en médecine, ce n’est pas l’erreur qui tue (on en fait tous, sauf à Nantes), mais l’obstination dans l’erreur. J’ai été durablement traumatisé par le décès d’une gamine (fille de médecin) hospitalisée par précaution à la suite de convulsions fébriles et décédée d’une fausse route dans son lit de bébé. Elle aurait été mieux à la maison, sous la surveillance de son père…

Enfin, parmi les critères d’appréciation des « experts » qui m’ont évalué, un manque cruellement : en 40 ans de pratique aussi intense que diversifiée, je n’ai pas eu un seul sinistre à déclarer…

Ainsi, me voilà radié sans aucune motivation, et de façon clairement insultante (au mépris des devoirs de confraternité qui imposent de ne pas dénoncer, encore moins publiquement, les prescriptions d’un confrère) :

« Au terme de cet entretien de 2h30, à l’unanimité les experts estiment que le Dr Girard est, à ce jour, inapte à exercer la médecine générale, que son exercice médical présente une dangerosité certaine pour sa famille et ses amis et qu’il présente des insuffisances majeures pour l’exercice de la médecine générale » (c’est moi qui souligne).

Mais je reste médecin pour le social divertissant : quelques jours avant ces maudits courriers, j’ai reçu de l’Ordre mayennais une invitation de l’« Association des médecins retraités » pour aller visiter le château de Vitré, moyennant 20 € de cotisation annuelle… L’Ordre est près de ses sous qu’il disait… Le programme annoncé pour l’année incluait « Déjeuner en janvier à Moulay », puis en septembre « Découverte du prestigieux vin de Chablis ». Rétrospectivement, j’ai compris pourquoi l’un des « spécialistes en médecine générale » qui m’avait été bombardé comme « expert » (l’un des plus agressifs) portait surtout les stigmates d’un alcoolisme social… Il est des pays (tels que le Royaume-Uni) où l’abus d’alcool chez un médecin est considéré comme exposant les malades à « une dangerosité certaine »…

Ah ! oui, j’allais oublier : je maîtrise raisonnablement la langue française…

Bien confraternellement.

 

  1. Dans son édition du 17/09/22, Le Courrier de la Mayenne donne la parole au président de l’Ordre mayennais qui pose comme seule condition à l’inscription d’un médecin en Mayenne, une certaine maîtrise de la langue française. mais ayant obtenu – Europe oblige – le titre de médecin dans un pays étranger au terme d’études non moins approximatives, par exemple en Bulgarie où la pègre fait sa loi et où, si l’on en croit Le Figaro (02/10/22), « la corruption est endémique »
  2. L’art de l’interrogatoire est une compétence que l’on acquiert dès la seconde année d’études.