Nouvelles de la Mayenne

Mis en ligne le 14/07/20, cet article a fait l’objet d’un post-scriptum daté du 20/07/20

Je vous écris de la Mayenne profonde : vous savez, ce département où, malgré la chaleur parfois écrasante, on n’a même plus le temps de chasser les mouches, trop occupés que nous sommes à enterrer les gens qui tombent pareil. D’ailleurs, le dépistage systématique a dû inclure quelque 1 300 personnes (sur les 350 000 habitants du département1), dont nous attendons encore les résultats : mon département n’est pas un lieu où l’on batifole avec l’urgence. Il n’a pas été encore décidé ce qu’on ferait des sujets contaminés, mais nous avons une tradition d’abattage bien établie dans ce pays d’élevage.

« Bienvenue au pays des blaireaux ! » ai-je pensé en lisant que le tout jeune maire de Laval se félicitait à l’idée d’un dépistage massif dans son département. Ancien élève de science Po et d’HEC, le gars sait ce dont il cause quand il parle épidémiologie, et avec tant d’assurance2. Il faut dire que sur la base d’une expérience professionnelle forcément considérable à son âge couplée à un engagement politique non moins prenant, ce tout jeune trentenaire a développé une entreprise de conseil pour start-up : on sent le mec qui ne parle que de ce qu’il connaît… Il avait d’ailleurs le soutien d’EELV – gage de sérieux – et du parti socialiste en la personne de Guillaume Garot, qui n’a jamais rougi d’être porte-parole de la pipelette décervelée nommée Ségolène Royal (tout en ignorant, jusqu’à un passé récent, que les groupes de pression pratiquent le lobbying: cf. Les Perles, 10/05/19) : rien que du lourd et du politiquement crédible…

Le hasard a fait que je suis tombé sur lui en faisant mon marché samedi. S’affairant devant les caméras (stérilisées ?) pour aider les commerçants en costard cravate et affublé d’un masque, il était doublement ridicule :

  • Ayant l’expérience, dans une vie antérieure, des livraisons de primeurs, je crois savoir que le costard-cravate n’est pas la tenue idéale pour le job 3 et reste rêveur à l’idée de ces « conseils » inspirés de la pratique, qu’il doit prodiguer à ses clients ;
  • j’attends toujours la moindre indication sérieuse concernant l’intérêt du masque en ce type de situation. Mais peut-être qu’à Science Po, on n’a pas la même conception du « sérieux »…

À peine arrivé sur la place du marché, je me vis entouré d’une escouade de flics et de vigiles me remontrant sans aménité que je devais porter un masque. Naïvement, j’osais demander d’où sortait cette exigence, pour me voir renvoyé à des affiches placardées un peu partout. J’avoue avoir quelques doutes sur la légalité de ce type de décision, mais je présume que quand on a comme ministre de la Justice un défenseur des pauvres et des opprimés, avocat régulier du roi du Maroc, il serait malséant de pinailler.

Sans pinailler, par conséquent, mais toujours à quelques mètres du preux défenseur de l’hygiène publique et de la prophylaxie, je sortis donc de mes sacs un truc dégueulasse trouvé dans le coffre de la voiture que je venais d’utiliser pour transbahuter mes ordures (je fais ça tous les samedis), je l’accrochais de façon ostensiblement ridicule sur mon oreille droite (je suis droitier forcené), et plus personne ne vint me chercher noise…

Dura lex, sed lex comme on dit dans Astérix.

Post-scriptum (20/07/20)

De façon fortuite, une sortie à Évron (la quatrième ville du département) m’a conduit à y croiser longuement le dénommé Guillaume Garot (né en mai 1966) brocardé plus haut. Député du coin, il fut égal à ce que j’avais perçu de lui : tiré à quatre épingles, soigneusement coiffé malgré ses cheveux blancs parfaitement dissimulés, affublé d’un masque impeccable, il a passé son temps à saluer comme de vieilles connaissances tous les passants qu’il croisait – lesquels semblaient manifestement ravis de susciter l’attention d’un notable4. Vaudeville incongru au regard du constat suivant : alors que les parlementaires contemporains n’ont guère mieux à offrir que leurs promesses ou interventions pour obtenir le report d’une fermeture d’usine, une subvention pour l’installation ou le fonctionnement d’une autre5, ce type n’avait pas la moindre conscientisation qu’avec sa mise en scène débile à propos d’une menace surdramatisée, il compromettait toute l’activité économique du département et contribuait à acculer au désespoir des milliers de travailleurs (notamment ceux qui dépendent du tourisme, directement ou indirectement) en crédibilisant des dangers dont on attend encore la moindre démonstration sérieuse. Après vérification, je n’ai pu que constater qu’on chercherait en vain quoique ce soit d’intellectuellement significatif dans la carrière de ce député-fils-de-député dont le bagage se limite à une maîtrise d’histoire, suivie d’une admission à Sciences Po (qui n’est pas un endroit où l’on cultive l’originalité, encore moins la profondeur).

De façon assez cocasse, nous nous sommes retrouvés au moment de son départ quasiment face à face sur une petite place déserte : après avoir vaguement hésité, il m’a envoyé un grand bonjour comme si nous étions les meilleurs amis du monde, manifestement sans savoir que je l’avais publiquement raillé le jour d’avant (ce dont il n’aurait de toute façon rien eu à foutre). Une fois seul, je me suis trouvé pris par une poussée de rage consternée : alors que, même au temps de la Terreur, les Français n’avaient jamais vu leurs droits élémentaires aussi cyniquement bafoués qu’aujourd’hui, les plus éminents représentants du Peuple n’ont pas d’autre souci que de distribuer des œillades à la cantonade. Qu’a bien pu apprendre de ses études d’histoire ce dragueur de plage ?

  1. La presse locale indiquait récemment que nous étions « au dernier rang des pays de Loire les plus peuplés ». Pour le même prix, le département d’Ubu-roi aurait pu se trouver au premier rang des départements les moins peuplés…
  2. Il succède à François Zochetto qui, bien qu’avocat de profession, avait renoncé à se défendre devant « le Tribunal de l’opinion publique » quand il s’était trouvé accusé de « harcèlement ». Au pays d’Ubu, les diplômés d’écoles de commerce pontifient sur l’épidémiologie, quand les avocats renoncent à défendre les accusés…
  3. Quiconque a la moindre expérience du travail manuel a une méfiance naturelle à l’égard des cravates.
  4. C’est à ce genre de scène qu’on mesure que, abstraction faite d’un moment d’égarement le 21 janvier 1793, rien n’a fondamentalement changé en France depuis la société de cour instituée par Louis XIV.
  5. Qui ne se rappelle la danse du ventre de Martine Aubry devant les dirigeants de Toyota lors de leur installation dans la région de Valencienne ?