Bagad

Le 15 août est traditionnellement la fête des Bagads,

c’est-à-dire des formations musicales à base d’instruments traditionnels de Bretagne (bombardes, cornemuses, binious), qui jouent de la musique de marche.

Défilent donc des groupes folkloriques (les pompiers, les policiers…) divers au son de musiques effectivement entraînantes et traditionnelles : tous les touristes ont vu ça.

Comme chacun sait, les traditions sont faites pour évoluer, sinon elles meurent. Cette année, par souci d’hygiène, au lieu de défiler dans les rues comme avant, les bagads ont défilé sur la piste du terrain de sport local. Il est difficile d’imaginer plus grotesque que ces défilés sur une piste d’athlétisme dont on a pu voir quelques images filmées par des reporters pince-sans-rire : l’athlétisme sans athlètes, c’est un peu comme le quatre-quarts au temps de l’Occupation, où on a remplacé le beurre, le sucre, la farine et les œufs par des succédanés. Ceux qui ont vécu l’époque peuvent raconter le résultat… Mais aujourd’hui, au lieu d’en ricaner rétrospectivement, on vous présente ça comme une super innovation attestant le génie des conseillers du pouvoir.

Scandale enkysté dans ce ridicule : les groupes de filles défilent séparément des groupes de mecs, en défi patent à la théorie des genres. Au lieu que garçons et filles aient revêtu leurs plus beaux atours comme c’était l’usage les années passées, on aurait dû leur imposer une tenue a-genrée : par exemple, une plume dans le fondement, une blanche pour les filles, une noire pour les garçons – les couleurs de la Bretagne – en une tolérance exceptionnelle pour la journée  (forcément validée par Marlène Schiappa). On voit d’ici en défilé les cuisses musclées et épilées des Sapeurs-Pompiers et celles toute menues (en moyenne) des majorettes de la Bretagne folklorique.

Trêve d’ironie : quand on a des cuisses d’athlète, on est supposé avoir assez de coffre pour rétorquer « ça va pas ? » aux organisateurs de telles mascarades. Dans l’intériorisation du ridicule, il y a toujours une marge de résistance et c’est cette marge qui fait défaut.

Dans le même registre du ridicule, le 15 août marque la fête du village où je réside qui, avec les années, a conquis une certaine notoriété régionale : jusqu’à 3000 personnes sont attendues dans des rues minuscules où il est difficile de faire se croiser deux voitures de tourisme. Par une étrange fantaisie, le Préfet a dispensé les organisateurs de toute contrainte liée au pass. Mieux : comme les professionnels de la restauration sont supposés n’avoir aucune pratique de l’hygiène alimentaire, ce sont les parents des enfants de l’école primaire qui préparent une sorte de pique-nique, sur du matériel jetable destiné à terminer au mieux dans des sacs-poubelle, au pire par terre dans la rue. Il y aura aussi des orchestres amateurs, animés par des professionnels de l’asepsie, pour faire danser les spectateurs – probablement harnachés de bulles aseptiques. C’est aussi, traditionnellement, la fête des peintres amateurs qui, par sécurité virale, useront toute la journée de pinceaux trempés dans l’acide sulfurique.

Par association d’idées, petit instantané pour achever le tableau (on parle peinture, oui ou merde ?). Au marché du mardi à Laval, j’attendais patiemment mon tour chez le fromager, à respectueuse distance du gars avant moi : distance d’autant plus respectueuse qu’il sautait aux yeux et à l’odorat, que ledit gars était d’une hygiène corporelle extrêmement sommaire (comme on rencontre dans les marchés publics) : cela ne l’a pas empêché de me reprocher avec virulence de lui « postillonner dans le dos » alors que ma dernière idée aurait été celle d’un contact intime avec un être aussi malpropre…

Mais n’est-ce pas, selon Macron et ses conseillers, un souci altruiste (penser à protéger les autres) qui doit inciter les gens à se conformer aux consignes du pouvoir ?

Le gars avant moi était franchement répugnant, certes, mais c’était un humble, qui n’avait pas le CV présumé glorieux des gens dont on parle : or, comment qualifier les occupants des lieux luxueux (Élysée, Matignon, Sénat, Palais Bourbon…) et nettoyés aux frais de la collectivité qui se complaisent à imposer au peuple de telles mascarades ?