Quand l’espoir s’embourbe

Faute de temps, de goût (et, peut-être, de formation), de matériel adéquat, je n’ai jamais eu d’inclinaison pour les chanteurs modernes. C’est une occupation de mes vieux jours que de prendre connaissance de ce que je n’ai jamais pris la peine d’écouter en temps réel : j’ai attendu d’avoir 50 ans pour me voir offrir par ma fille aînée un disque avec les principaux « tubes » de Johnny Halliday…

Or, ce petit passe-temps rétrospectif révèle la formidable vacuité de ce qu’étaient les passions de notre jeunesse. Quand on mesure l’écart entre la passion juvénile de Johnny Hallyday et Sylvie Vartan et la brièveté de leur relation (qui n’est pas le fruit de l’usure car, médiatisée comme d’origine domestique, la tentative de suicide de Johnny fut très précoce), on reste songeur.

La rediffusion d’une « radioscopie » où l’idole des jeunes assure ne s’être jamais droguée rappelle les dernières semaines du chanteur, dont l’état lamentablement dégradé joint au choix peu judicieux du « chirurgien des stars » qui avait imposé un « coma artificiel ». Que dire enfin de la tragicomédie de l’héritage à partager entre ses enfants et sa dernière femme – alors que, comme chacun sait, Johnny n’était pas intéressé par l’argent et que, de toute façon, il avait tout prévu et organisé en sage père de famille…

En fait, tous ces chanteurs de ma génération ont été rattrapés car ils étaient tous dans la jouissance de l’instant.

A côté des failles personnelles (pas de modèle de père : un « copain » 1), il y a surtout que malgré tout le baratin démagogique (penser à Maxime Leforestier), cette génération compensait dans la consommation (éventuellement stimulée par les drogues, et pas les plus anodines : songez à Jimi Hendrix, à Woodstock…) Passées les pénuries liées à la guerre, cette génération s’est complue à se goinfrer, sous le regard complice des adultes ravis d’avoir fait des fonctionnaires, plutôt que des ouvriers aux mains sales. Mais derrière cette complaisance, on retrouvait souvent un manque d’authenticité parfois cruel : penser aux luxueuses motos de Johnny ou à ses délires incendiaires (« Allumez le feu »…)

Il est patent qu’il reste quelque chose de ce détricotage de la lutte des classes, via la promotion du fonctionnariat. Finies les mains sales et les odeurs d’atelier : place à la chemise-cravate, avec ou sans cravate.

Ceux qui ont à dire le vrai sont condamnés à radoter, parce que, par définition, le vrai est répétitif. Oh ! il y a bien des changements, mais de détail : quand on a visé la cible de la Vérité, on peut faire des ajustements de détail, mais la cible ne change pas. Abstraction faite des radoteurs, « Tu l’as déjà dit » est le plus beau compliment qu’on puisse adresser à quelqu’un qui n’a jamais dévié dans sa quête de vérité.

“Viser une position de Vérité, ce n’est pas prétendre avoir toujours raison : c’est simplement affirmer que rien – ni les menaces, ni les sévices, ni les promesses, ni le risque de mauvaise réputation, ni la correction politique – n’est susceptible d’en dévier la quête.”

  1. On entend Guy Bedos ou Johnny revendiquer de se comporter en « copain » avec leur progéniture et on peut en voir le répugnant résultat dans l’exhibitionnisme malsain de Nicolas Bedos (le fils de son père) avec Julie Gayet (la maitresse exhibo d’un président sans qualités).