La médecine est-elle une science ?

Bien que, d’une façon ou d’une autre, cette réflexion affleure en de multiples endroits du présent site, il me paraît utile d’aborder sans détours la question suivante : la médecine est-elle une science ?

À baguenauder sur la Toile, la réponse ne paraît pas faire de doute : le plus manifestement inculte des blaireaux a toujours, forcément, la Science (avec une majuscule) derrière lui – pour les vaccins, contre les vaccins, pour le dépistage, contre le dépistage, pour les médecines parallèles ou pour la médecine académique ou les deux (qui peut le plus peut le moins). Et les dissidents, voire simplement les agnostiques vivent sous la menace d’une vérité scientifique, irréfutable forcément aussi : tu ne peux quand même pas contester que l’espérance de vie s’est allongée… Enfin, depuis le début de ma carrière d’expert judiciaire, j’ai consacré une énergie considérable à dénoncer comme scientifiquement ridicule et humainement odieuse l’exigence d’un lien « direct et certain » dans les affaires civiles destinées à réparer un dommage.

L’histoire des sciences s’est constituée historiquement comme une réflexion sur « la certitude ». La première chose que la science n’est pas, justement, c’est une recherche – et encore moins une garantie – de certitude. Je ne cesserai de rappeler que, dans l’histoire de l’humanité, la recherche de certitude est l’apanage de la pensée magique : tout a une cause, même le fortuit. Par contraste, la science s’est constituée grâce au regroupement de ceux qui, acceptant de ne pas tout comprendre, sont capables d’affronter l’incertitude – et de la tolérer au point d’essayer de la quantifier, via les statistiques par exemple.

Cela ne signifie pas qu’à l’instar de Feyerabend, il faille sacrifier au pyrrhonisme, et que toutes les vérités se valent. Nous continuons de cultiver un idéal de rigueur que nous appelons « méthode », mais nous mesurons l’espace entre cet idéal et la réalité expérimentale. En d’autres termes, notre idéal entretient notre humilité, mais cette humilité n’est pas un renoncement : si misérables que nous nous sentions par rapport à notre idéal, il nous autorise à tancer sévèrement les fausses sciences1 – à tancer ceux qui veulent se parer du prestige de la Science sans en assumer la dure loi. On peut très bien savoir qu’on est mauvais : cela ne nous encourage pas à nous y résigner – tel le coureur qui fait un mauvais chrono mais qui sait qu’on peut faire mieux, soi-même ou d’autres.

Affronter l’incertitude, c’est, au sens le plus élevé du terme, faire de la politique en amenant les gens à s’intéresser aux questions dont dépend la vie citoyenne : il s’agit d’alimenter le débat par des vraies questions au lieu de se masturber sur des problématiques qui les insensibilisent au vide de leur existence et les cantonnent dans une problématique de simple survie, caractérisée par une absence de projet. Est-ce qu’il y a une différence entre les garçons et les filles ? Est-ce qu’on peut faire la fête – et à combien maximum ? Est-ce qu’on peut apporter de l’alcool ? Et des joints ? Est-ce qu’il y a moyen de se procurer des capotes quand les magasins qui en vendent habituellement sont fermés ? Est-ce que Emmanuel Macron est vraiment amoureux de sa femme ? Est-ce que Marlène Schiappa est aussi débile qu’elle paraît ? Est-ce que les maternelles vont accueillir les enfants, et va-t-on les forcer à porter un masque ? Et quels masques sont autorisés ?…

  1. Notamment les promoteurs de toutes les médecines “douces/alternatives” qui aiment tellement à se parer du prestige de “la Science” mais n’en assument jamais la loi, qui est celle de la méthode.