De la ferme familiale à la firme internationale

De la ferme familiale à la firme internationale

 

Suite à l’article du Monde Diplomatique (février 2022) De la ferme familiale à la firme internationale, je reçois d’une lectrice le courrier suivant

Cher Marc,

Récemment, le Monde Diplomatique publiait un article évoquant la menace d’appropriation des terres agricoles par des sociétés dont l’unique objectif sera d’optimiser la rentabilité des terres, au détriment de considérations d’ordres qualitatif, environnemental ou sociétal. Les agriculteurs se voyant progressivement remplacés par le travail à façon et l’agriculture de firme.

Cet article est l’occasion pour moi – car il touche à mon domaine de compétence – de rejoindre votre constat renouvelé et sans concession, à propos de ce journal : incapable d’aller au fond des choses. Celui-ci expose en effet les ressorts d’un système qui n’est plus capable de protéger le foncier de la rapacité de ceux qui projettent de faire main basse sur la production agricole, tout en esquivant l’essentiel (à peine effleuré en trois lignes dans cet article) : pour faire de l’agriculture, celle dont la population a besoin pour accéder à une nourriture de qualité, et les territoires pour entretenir les paysages, il faut des agriculteurs. Et le monde agricole pourtant, à commencer par le syndicat majoritaire, artisan d’un modèle qui contribue à leur disparition, peine à proposer des solutions à des problèmes pourtant bien identifiés : des structures qui ne se transmettent plus car elles concentrent trop de capitaux ; des jeunes à l’idéal de vie aux antipodes de celle leurs parents, épuisés de répondre aux injonctions de l’agrandissement pour se retrouver avec une retraite misérable ; des candidats à l’installation, souvent néo-ruraux, qui rêvent d’un autre modèle, et n’ont la plupart du temps pas les liquidités nécessaires pour la reprise d’exploitations à plusieurs centaines de milliers d’euros – voire davantage, quand s’y adjoint, par exemple, une unité de méthanisation – des zones rurales désertées, voire sinistrées, grâce à la complicité de l’Etat…

Le défi du renouvellement des générations d’agriculteurs que préfigure le départ en retraite massif dans la profession à l’horizon des 5 à 10 prochaines années, est bien loin d’être relevé, et le sujet n’intéresse pas beaucoup les politiques. La population agricole est déjà largement minoritaire dans la société, et le nombre d’agriculteurs ne cesse de se réduire à peau de chagrin…

En dépit des affichages, le Diplo semble avoir oublié les considérations qui font pourtant l’essence d’une forme de socialisme dont il se revendique – à moins qu’il fasse partie des rares confondant encore gauche et socialisme… – à savoir l’humain, et ses conditions d’existences.

Il n’y a pas besoin d’avoir fait une « école » de journalisme (ça existe…) pour savoir que les campagnes se vident et en apercevoir les raisons les plus évidentes : métier épuisant, dont la rentabilité est ruinée par les lobbies intouchables (comme Besnier ou Carrefour), départ à la retraite des actifs non suicidés, prix des exploitations au-delà des ressources de n’importe quel agriculteur normal (malgré les conditions de crédit démentielles consenties par le Crédit Agricole), difficulté à trouver un conjoint prêt à assumer les conditions de vie d’un agriculteur…

Il existe des solutions à ces difficultés, mais encore faudrait-il enquêter pour les découvrir et les expliquer au public. Il est plus facile d’adopter le point de vue paranoïaque : la brutalité sans scrupules des autres-et-pas-nous, la puissance occulte des firmes internationales, etc. On n’apprend pas les techniques d’enquête intelligente dans les « écoles » de journalisme : c’est plus facile de dénoncer sans savoir.