Retour sur l’affaire Althusser

Les lecteurs innombrables qui tiennent mon CV pour leur livre de chevet1 savent que depuis que j’ai l’âge de raison, je me suis interrogé sur la validation des traitements en général, et des psychothérapies en particulier : 1) Est-ce qu’on peut escompter une amélioration significative chez les personnes qui souffrent psychiquement ? Inversement, peut-on craindre les effets indésirables d’une psychothérapie ?

Réactivé par le décès récent d’un ami qui avait bien connu l’intéressé et qui, dans les années 1960-70, avait partagé la même dévotion pour la psychanalyse, le souvenir m’est revenu de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Althusser ». Rappelez-vous : cette idole de la rue d’Ulm qui, en novembre 1980, avait étranglé son épouse… Il devait y avoir plus convaincant en matière d’efficacité thérapeutique.

J’avais, il faut l’avouer, un souvenir personnel de cet épisode, à ma connaissance peu connu du public : ayant échappé à la prison (article 122-1 du code pénal), grâce à la connivence de l’élite psychiatrique parisienne (celle de sainte Anne pour ne pas la nommer), ce maître à penser d’une génération de… penseurs2, une fois sorti de son internement, s’était précipité chez un ami philosophe ET avocat pour lui demander sans le moindre scrupule : « comment puis-je hériter d’Hélène ? » (l’épouse assassinée).

À tort ou à raison, sous l’influence de Socrate, nous associons l’image du philosophe à celle d’une intransigeance morale (même si, dans leur quête de succès médiatique, les philosophes universitaires tiennent plus de Protagoras que du Maître de Platon : demandez à ***). Mais il n’y a pas que Socrate pour se réconcilier avec une éthique intransigeante : il y a un certain Sigmund Freud3, qui n’a jamais beaucoup transigé dans sa vie pourtant abonnée aux conflits.

Curieusement, je ne m’étais jamais interrogé sur l’identité du psychanalyste qui pouvait se vanter du prodigieux résultat obtenu avec Althusser. Il s’avère que c’était René Diatkine, doté d’une notoriété certaine dans le milieu mais dont, curieusement encore, Freud – qui était son premier analyste – s’était débarrassé au motif foireux que le second ne comprenait pas l’allemand du premier, les deux ayant pourtant les mêmes origines linguistiques et géographiques (diaspora juive de l’Empire Austro-Hongrois) : on imaginerait pour le même prix que le Maître de Vienne avait des raisons pour ne pas estimer trop chaleureusement son patient… De fait et à y regarder de plus près, Diatkine soignait simultanément Althusser et son épouse, pourtant aussi folle que lui, malgré l’enseignement sans ambiguïté de S. Nacht, qui avait contribué à définir rigoureusement les contre-indications de la psychanalyse – parmi lesquelles il rangeait la psychose paranoïaque.

Nous sommes donc renvoyés, malgré la rigueur des textes originaux, à cette dérive franco-française consistant à franchir des bornes a priori très claires sous des prétextes philosophiques qui ont fait la gloire de Lacan et de ses suiveurs, et contaminé le milieu psy dans son ensemble. On ne compte plus, chez nous, le nombre de « psychanalystes » qui, dans l’indifférence (voire la connivence graveleuse) du milieu, ont violé ce qui reste quand même un interdit fondamental la pratique thérapeutique: ne pas coucher avec un patient.

C’est désespérant : à se tourner, par compensation, vers les neuroleptiques…

  1. N.B. Il doit y avoir du second degré dans ce propos…
  2. Maître à penser pour blaireaux consentants, dont ne faisait pas partie l’excellent E.P. Thompson, lequel avait consacré tout un livre à éreinter Althusser.
  3. Freud. The Mind of the Moralist, Chicago, 1979.