Les entourloupes du “mois rose”: I. Mammographie

Initialement consacré au seul dépistage du cancer mammaire, le “mois rose” est en passe de marquer la déroute d’une médicalisation délirante – mammographie, bien sûr, mais également vaccination antigrippale ou contre “le cancer”, dépistage du cancer de la prostate, “réforme” du médicament -, justifiant l’exaspération des lobbies qui, renonçant à obtenir l’assentiment des citoyens relativement à leurs grossiers bobards, en appellent de plus en plus aux politiques décérébrés par un lobbying pourtant peu subtil pour passer au stade supérieur de la contrainte avec l’appui empressé d’experts dont les préconisations policières sont bizarrement plus compatibles avec les intérêts de Big Pharma qu’avec la vérité scientifique1, pour ne point parler des associations “de patients” sur les liens d’intérêts desquels – victimisation oblige – rares sont ceux qui osent s’interroger.

Par esprit de simplification, mes deux prochains articles seront limités aux deux campagnes actuelles: 1/ dépistage mammographique, 2/ vaccination antigrippale.

Le surdiagnostic enfin reconnu?

Par rapport aux années précédentes, on pourrait croire à un progrès dans la mesure où, pour la première fois, les autorités affectent de s’intéresser au surdiagnostic, allant même jusqu’à organiser un colloque sur le sujet2. La ruse est grossière, cependant:

  • l’attention du public ayant été dûment attirée sur ce problème du surdiagnostic, persister dans l’attitude de total déni qui avait prévalu jusqu’alors, c’était démasquer – et de la plus piteuse façon – l’esprit d’escroquerie absolue qui avait jusqu’alors présidé aux campagnes nationales de dépistage3;
  • s’il s’agissait vraiment d’aller “à la recherche de nouveaux équilibres”, la moindre des prudences eût été de modérer – au moins temporairement – l’enthousiasme du “mois rose”, alors qu’on n’aperçoit aucun bémol dans le zèle communicatif des autorités soutenues par leurs experts à la botte qui continuent de quantifier sur les ondes des bénéfices mirobolants en termes de vies épargnées, mais dont on attend toujours la moindre démonstration épidémiologique;
  • en fait et comme à chaque fois qu’elles sont forcées par l’évidence d’abandonner leur attitude réflexe de déni, les autorités et leurs séides affectent de prendre en compte le problème – en insinuant qu’il est “à l’étude” – pour, le temps passant, accréditer qu’il a été bel et bien “étudié” et retourner, de la sorte, la décrédibilisation en direction de leurs contradicteurs: il faut vraiment que ces derniers soient bornés (ou de mauvaise foi) pour s’obstiner autour d’une question rendue anachronique par l’attention supposée y avoir été consacrée durant tout ce temps4.

Les résistances d’un certain public

Du côté du public, les résistances à la révélation de l’escroquerie mammographique s’organisent selon deux directions, dont on trouve facilement des exemples dans les divers forums consacrés à la question.

  • D’une part, les inébranlables “moi-je” qui, incapables de s’abstraire si peu que ce soit de la tromperie où ils se sont laissés entraîner, ne voient d’autre issue que de la généralisation de leur petite expérience à la population générale: “ma mère/ ma femme/ ma soeur/ ma copine/ moi-je” devons à la mammographie d’avoir été “prises à temps”5. Malheureusement facilitée par le terrifiant potentiel d’amplification de la Toile, cette position radicalement anti-citoyenne combine les effets de l’arrogance égocentrique bête et d’une sensibilité naturelle à “l’anecdotique spectaculaire” – la cruauté d’un drame individuel se substituant à l’humble et nécessaire réflexion sur la portée générale (ou statistique) du drame en question6

    Cette disposition d’esprit me conduit à répondre au reproche qui m’est parfois adressé de brutaliser les femmes réputées cancéreuses en insinuant qu’elles ont peut-être subi tout ce martyr pour rien: mes critiques méthodologiques seraient “à la limite du respect” dixit une correspondante exaspérée, tandis que de façon moins agressive et tout en admettant que j’avais probablement raison sur le fond, une représentante d’association m’enjoignait récemment de ne pas acculer au désespoir les femmes qui avaient eu la malchance de tomber dans le panneau. Laissant ouverte la question de mon respect pour les femmes et pour leur corps, qu’il me soit permis de rappeler qu’on a déjà l’expérience du slogan “ne pas désespérer Billancourt” – et qu’elle n’est pas brillante: en l’espèce, il fait le jeu de ceux qui, adoptant la stratégie exactement inverse, cherchent à stériliser tout questionnement critique (au moins rétrospectif) en enrôlant les victimes de leur dépistage idiot comme agents recruteurs hystériques des femmes qui leur ont encore échappé. La compassion profonde que j’éprouve à l’égard des femmes gravement mutilées dans leur corps par une médicalisation imbécile ne va pas jusqu’à annihiler le respect que je porte à celles qui sont encore en bonne santé – pour ne point parler de mon éthique médico-politique qui consiste à disséminer autant que faire se peut les éléments de fait susceptibles d’aider mes semblables à résister au totalitarisme médicalisant
  • Aux antipodes des principes méthodologiques que je m’efforce de promouvoir en vue d’un contrôle citoyen de l’expertise, les forums attestent également cette propension – elle aussi gravement exacerbée par Internet – de certains profanes à prétendre jouer dans la cour des “experts” réels ou supposés7. Au gré de leurs recherches hasardeuses, certains internautes8 croient donc utile de mettre en avant telle ou telle investigation présumée démonstrative, quand elle est restée dans les annales épidémiologiques comme le prototype de l’étude à tout le moins problématique – pour rester gentil. Ce qui a marqué la recherche sur la mammographie, au cours de ces dernières années, c’est au contraire (sous l’impulsion de la collaboration Cochrane), un effort d’inventaire critique des études disponibles visant à les hiérarchiser en fonction de leur rigueur méthodologique: il s’avère, pour résumer, qu’à mesure que l’on se concentre sur les études correctement menées, les bénéfices présumés de la mammographie disparaissent comme par enchantement9.

Les opposants à la mammographie

Quant à ceux – de plus en plus nombreux10 – qui prétendent dénoncer dépistage mammographique tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, ils évoluent, eux aussi, selon deux directions principales.

  • Ceux qui croient utiles d’amadouer le public en soutenant que “Comme toute procédure médicale, la mammographie présente
    des bénéfices, mais aussi des risques”. Le problème de cette stratégie est au moins triple, à mon avis.

    • Comme on l’a vu plus haut, l’adhésion d’une partie du public à la mammographie ne relève pas, à proprement parler, d’un exercice rationnel rigoureux. Dans la mesure où les plus hasardeuses des médicalisations ont pu s’introduire sur l’argument pernicieux que “le risque zéro n’existe pas”11, on imagine mal des citoyens hystériquement convaincus que la mammographie “sauve la vie” bouger d’un epsilon à l’idée que “pt’êt ben qu’en plus, pourrait y avoir des risques”.
    • On attend toujours la moindre démonstration raisonnable des bénéfices censément “présentés” par la mammographie.
    • Comme le scandale de la mammographie tient, précisément, à cette absolue absence de preuves concernant les bénéfices, il y a quelque chose de consternant à voir des opposants affichés se faire les avocats de présumés “bénéfices” pour essayer de passer un message dont on vient de dire qu’il n’avait aucune chance d’être reçu par les personnes concernées: on en revient, une fois encore, au prodigieux potentiel de récupération par lequel les tenants des médicalisations les plus aberrantes parviennent à recruter des suffrages jusque chez leurs ennemis les plus avoués…
  • Ceux qui, sans fléchir, continuent de documenter avec une force croissante de preuves l’évidence que l’effet le mieux démontré du dépistage mammographique, c’est d’augmenter la souffrance des femmes sans aucun bénéfice tangible en retour. Citons pour faire bref:
    • la très récente étude publiée dans le British Medical Journal12 montrant que le principal “bénéfice” du dépistage mammographique tel que pratiqué en Norvège a été de multiplier les actes chirurgicaux…
    • l’étude encore plus récente13, cosignée par mon ami Bernard Junod (également signataire de l’étude précédente) – cette fois à l’échelle de notre pays – et aboutissant peu ou prou à des conclusions parallèles. Le FORMINDEP ayant pris la peine de traduire cette étude fondamentale, je me permets de renvoyer mes lecteurs – professionnels de santé ou non – à ce document éminemment informatif;
    • l’étude quasi contemporaine de la présente rédaction14 qui fournit des arguments au moins biologiques assez convaincants pour conduire à suspecter que les irradiations répétées liées aux mammographies de dépistage puissent elles-mêmes avoir un potentiel cancérigène.

Conclusion

Si l’on fait abstraction des délires promotionnels de ceux qui ont un intérêt – direct ou indirect – à faire tourner la machine mammographique, les ambiguïtés résiduelles relatives aux “bénéfices” potentiels du dépistage semblent tenir au propos pourtant très réservé de la collaboration Cochrane selon lequel:

“Si 2000 femmes sont examinées régulièrement pendant 10 ans, une seule d’entre elles bénéficiera réellement du dépistage par le fait qu’on lui évitera la mort par cancer du sein, parce que le dépistage a détecté le cancer à un stade précoce.”

Mais même abstraction faite du coût exorbitant pour cette mort “évitée” (10 femmes en parfaite santé considérées et traitées comme cancéreuses, 200 femmes inutilement alertées avec leur lot de biopsies et autres examens complémentaires, de souffrances et d’angoisse inhérentes), il convient d’interpréter à sa juste valeur cette mort prétendument “évitée”. Car et sauf erreur de lecture, à aucun endroit, les auteurs de la revue ne soutiennent que la personne en question y aurait gagné la moindre prolongation de son espérance de vie: le plus probable est que, au lieu de décéder de son cancer, elle sera morte de son traitement.

De la sorte, sans avoir eu la moindre prolongation de survie, la femme en question aura, en revanche, obtenu un significatif raccourcissement de son espérance de vie en bonne santé: prise plus précocement, elle aura fait l’objet des procédures connues pour leur bénignité – mammectomie partielle ou non, radiographie, chimiothérapie, hormonothérapie durant des années – et, à la fin, elle n’aura strictement RIEN gagné relativement à celles qui auront attendu comme leurs grands-mères pour faire le diagnostic de leur cancer…

Cette interprétation déjà assez pessimiste des “bénéfices” liés au dépistage est encore obscurcie par le fait que les évaluations de la collaboration Cochrane, malgré leur scepticisme, fournissent une version encore exagérément optimiste de la situation dans la mesure où, comme le souligne Welch15:

“Nul n’a mesuré les effets secondaires néfastes du dépistage ni ceux des traitements qui en découlent.”

En l’espèce, cela signifie que si les promoteurs de la mammographie s’avèrent déjà incapables de documenter le moindre bénéfice de leur procédure en termes d’espérance de vie, ils ont tout simplement passé par pertes et profits les éventuels abrègements de cette espérance tels que ceux consécutifs aux disséminations métastatiques liées à la brutalisation du sein lors de la mammographie, ou encore aux biopsies ou aux “flambées” chirurgicalement induites au niveau de tumeurs qui n’auraient jamais fait parler d’elles – abstraction faite, aussi, des complications traumatiques, infectieuses ou irradiantes de toutes ces procédures.

Sans que je sois suspect de céder à mon tour aux abus extrapolatifs de mon expérience biographique, qu’il me soit permis, en conclusion, de citer deux exemples démonstratifs, justement, par leur sinistre banalité.

  • Au cours de mes études de médecine, j’ai eu à connaître le cas d’un homme de 33 ans ayant fait l’objet d’une néphrectomie en urgence décidée sur la base d’une image très suspecte à l’urographie: comme cela arrive avec ce type d’intervention, il est mort sur le billard. Le seul problème, c’est que l’ana-path post-mortem a révélé, en tout et pour tout, l’existence d’un calcul d’acide urique – le plus banal des calculs rénaux…
  • Plus tard, j’ai suivi (et contribué à gagner, pour les ayants droit) l’affaire d’une femme de 65 ans, également en parfaite santé et qui, sur la base d’une ana-path effectuée suite à l’exérèse d’un polype colique censément “cancéreux” (mais qui, statistiquement, lui laissait de belles années devant elle), a accepté de reporter ses vacances pour entreprendre une chimiothérapie: dans les quinze jours, elle est morte de ladite chimiothérapie – et dans d’atroces souffrances…

Le souci, c’est que ces deux cas – concernant des personnes n’étant pas décédées de leur “cancer” plus ou moins présumé – sont désormais, et pour l’éternité, portés au crédit du dépistage : à strictement parler, ce dépistage et cette prise en charge précoces leur ont effectivement “évité la mort par cancer”…

  1. “Pourquoi ne pas rendre les vaccinations obligatoires?”, Le Figaro, 11/09/11.
  2. “Cancer du sein, surdiagnostic, surtraitement. A la recherche de nouveaux équilibres”, Marseille, 9-11 nov. 2011. On relève que les organisateurs de ce colloque sont étonnamment discrets sur leurs sponsors. Je ne suis apparemment pas le seul à m’interroger sur ce colloque, sur son ouverture à la contradiction et sur la crédibilité de ses organisateurs.
  3. Dès cet article mis en ligne, Alain Braillon m’adresse le pre-print d’une de ses publications à paraître dans Preventive Medicine où il rappelle ce fait incroyable que les consignes de désinformation des femmes sont parues… au Journal Officiel, (03/05/07)! Approuvée par l’arrêté du 02/05/07, en effet, la Convention nationale des médecins généralistes et des médecins spécialistes stipule textuellement, à propos de la mammographie: “(le médecin traitant) attire l’attention de la patiente sur les bénéfices d’un dépistage aux âges recommandés en exposant les avantages du dépistage organisé ; il développe une information positive sur le dépistage (qui doit s’inscrire parmi les actes naturels de simple surveillance) afin de lever les éventuelles réticences de ses patientes”. Ceux qui pensaient que le “consentement informé” passait par une information loyale sur les bénéfices et les risques sont refaits par cette convention parue au JO et dont il est utile de rappeler qu’elle a été signée par les principaux syndicats de médecins. Mes appréhensions relativement à la médecine préventive utilisée comme cheval de Troie d’une véritable menace totalitaire ne sont pas si fantasmatiques…
  4. On retrouve exactement la même stratégie relativement aux narcolepsies post-vaccinales où, après avoir vainement tenté de nier le problème, les autorités ont fait savoir qu’elles l’avaient mis “à l’étude”, alors qu’elles n’ont strictement RIEN fait hormis laisser passer le temps suffisant pour ringardiser ceux qui, deux ans après, s’indignent du parfait statu quo.
  5. Variante: “est morte alors qu’elle n’avait pas pu bénéficier de la mammographie (…), et moi-je invite tout un chacun à s’inspirer de cet exemple”.
  6. On relève que, souvent dénoncée sur ce site à l’époque héroïque de la grippe porcine, cette propension à la dramatisation de l’anecdotique correspond, malheureusement, à la stratégie préférée des autorités qui manipulent l’émotivité des foules, s’efforçant, à ce titre, d’exploiter le spectaculaire au détriment de la raison critique: “le parenchyme du bébé irrémédiablement atteint”, l’horrible forfait pédophile de l’affreux “récidiviste”, le crime abominable du fou forcément “dangereux”…
  7. Ce reproche, notons-le, n’ayant rien à voir avec la question de “l’expertise profane” que je cherche également à promouvoir: quand je reproche à un profane de jouer les experts, j’entends précisément le tancer de sortir du terrain de l’expertise profane – dont la pertinence saute aux yeux, par exemple, à propos d’une maladie aussi banale que la grippe.
  8. Certains apparemment médecins et sans doute plus habitués au Quotidien du médecin qu’aux contraintes de la recherche bibliographique dans des bases internationales…
  9. Le lecteur intéressé pourra se reporter au passionnant forum qui fait suite à l’article récent que JC Grange a posté sur son blog et qui récapitule de façon très claire l’état actuel du savoir sur la question mammographique.
  10. On observe le même phénomène avec la vaccination par Gardasil.
  11. M. Girard, Médicaments dangereux: à qui la faute?, Escalquens, Dangles, 2011: p. 112-115.
  12. Suhrke, P., et al., Effect of mammography screening on surgical treatment for breast cancer in Norway: comparative analysis of cancer registry data. BMJ, 2011. 343: p. d4692.
  13. Junod, B., et al., An investigation of the apparent breast cancer epidemic in France: screening and incidence trends in birth cohorts. BMC Cancer, 2011. 11: p. 401.
  14. Colin, C., et al., DNA double-strand breaks induced by mammographic screening procedures in human mammary epithelial cells. Int J Radiat Biol, 2011.
  15. HG Welch, Dois-je me faire tester pour le cancer? Peut-être pas et voici pourquoi, Les Presses de l’Université de Laval (traduction française), 2006: p. 195.