Tamiflu : appel à l’éthique

C’est à juste raison que des confrères ont protesté contre les recommandations de la Direction Générale de la Santé (DGS) visant à la prescription systématique d’antiviraux pour toute suspicion de grippe porcine : d’une part, parce que le passé récent nous a amplement démontré qu’il s’en faut de beaucoup que les personnes soupçonnées d’avoir contracté une telle grippe soient effectivement contaminées; d’autre part parce que, de toute façon, les preuves d’un bénéfice thérapeutique tangible avec ce médicament dans cette indication font atrocement défaut.

Cependant, je n’entends pas beaucoup parler des problèmes de sécurité posés par ces recommandations scandaleuses.

Dès le 04/05/2009, au cours d’une émission dont l’enregistrement vidéo a bien circulé sur le net (http://www.dailymotion.com/video/xa8uvp_docteur-marc-girard-tamiflu_webcam), j’évoquais cette question des risques posés par Tamiflu, en rappelant notamment qu’au Japon, pas moins de 80 décès avaient été rapportés sans que la responsabilité de ce médicament puisse être exclue 1.

Mal évalués par des autorités étonnamment partiales, ces risques concernaient tous les patients recevant Tamiflu. Depuis lors, un article récent 2 a fourni des éléments extrêmement préoccupants tendant à montrer que, par rapport au virus “porcin” spécifiquement, ce médicament puisse agir comme stimulateur de virulence: il s’agit certes de données in vitro (obtenues “en tubes à essai” et non confirmées en clinique), mais étrangement compatibles avec nombre d’observations de patients subitement aggravés après avoir reçu Tamiflu comme traitement antiviral. En d’autres termes, il existe des éléments expérimentaux et cliniques compatibles avec l’hypothèse que Tamiflu puisse agir comme élément fortement aggravant – peut-être fatal – chez des patients souffrant de grippe “porcine”.

Même si la chose n’est pas complètement confirmée, les recommandations de la DGS apparaissent proprement ahurissantes eu égard au manque de bénéfice tangible : car si l’on peut prendre un risque de tolérance avec un produit offrant un réel bénéfice, il est simplement criminel de recommander un médicament lorsqu’il n’offre aucun avantage démontré alors qu’il est susceptible d’exposer à des risques graves, voire mortels.

A plusieurs reprises dans l’histoire de la pharmacie industrielle, des fabricants se sont distingués d’une administration indigente en décidant unilatéralement de mesures restrictives sévères concernant certains de leurs médicaments. J’appelle le Laboratoire Roche – avec lequel j’ai toujours entretenu des relations professionnelles de confiance et d’estime réciproques – à s’en tenir à l’éthique pharmaceutique traditionnelle et à montrer le chemin d’une sortie par le haut en faisant publiquement savoir que l’utilisation de Tamiflu chez des gens suspectés d’avoir contracté une grippe porcine n’est simplement pas compatible avec le bon usage de leur spécialité.

J’appelle tous les professionnels de santé à considérer que la prescription d’un tel produit chez des sujets suspectés d’avoir contracté une grippe porcine ne satisfait pas les intangibles principes de la prudence hippocratique.

J’appelle les sujets atteints d’un syndrome grippal à faire savoir à leur médecin que l’administration de Tamiflu dans leur état ne serait pas compatible avec l’exigence de sécurité à laquelle ils peuvent légitimement s’attendre.

J’appelle tous les citoyens – professionnels de santé ou non – à s’unir pour qualifier d’indignes les dernières recommandations de la DGS concernant la prescription d’antiviraux devant tout tableau évocateur de grippe.

  1. R. Hama, BMJ 2007; 335: 59
  2. Lin X et coll. Biochemical and Biophysical Research Communication 2009 ; doi : 10.1016/j.bbrc.2009.10.142