L’administration sanitaire “intraitable” sur les conflits d’intérêts

Une correspondance d’octobre 2007

à la lumière de l’actualité (03/03/10)

Auditionné le 03/03/2010 sur les conflits d’intérêts des experts, le directeur général de l’AFSSAPS, Jean Marimbert, a déclaré qu’il fallait être “intraitable” sur le respect des règles de déontologie (Le Parisien.fr, 22/03/10).

Pour remettre en contexte l’intransigeance de M. Marimbert, il est intéressant de revenir à cet article, initialement posté sur ce site début juillet 2009 : c’était l’époque où l’administration sanitaire se montrait “intraitable” pour obliger les experts de la grippe à respecter l’exigence légale de transparence dans leurs interventions médiatisées…

J’avais donc jugé utile de rafraîchir les mémoires : on se demande bien pourquoi…

On notera que j’attends toujours les réponses et du Ministre de la Santé, et du Directeur de la Haute Autorité de Santé, pourtant dûment mis en copie des courriers ici donnés en pièces jointes.


Si l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) fait grand cas de sa “gestion des conflits d’intérêt”, il faut beaucoup chercher, sur son site, pour trouver la plus récente édition de sa “Déclaration d’intérêts des membres des conseils, commissions et groupes de travail 2007”. Publique en théorie, mais bien cachée en fait : après beaucoup de recherches vaines, il m’a fallu téléphoner à l’AFSSAPS pour parvenir à mettre la main sur ce document. Daté de 2007, mais précisant (en page 22…) qu’il répertorie simplement “les déclarations d’intérêts parvenues en 2006 ;
à défaut, dernière déclaration d’intérêts parvenue depuis 2000″. D’où, évidemment, deux questions préalables :

– est-ce l’indicateur d’une “gestion des conflits d’intérêts” crédible qu’en juillet 2009, il n’existe aucun inventaire des liens d’intérêts sur une période de plus de deux ans et demi1 ?

– comment se fait-il que l’AFSSAPS (et ses instances de tutelle) tolère de ses experts qu’ils omettent de faire parvenir leur déclaration ? Semblable omission ne devrait-elle pas entraîner une radiation d’office ?

Le cadre étant ainsi posé, examinons un exemple précis – parmi bien d’autres hélas. Pour apprécier le sel des trois courriers ci-joint, un minimum d’introduction médico-technique s’impose.

Dans le courant de l’année 2007, la littérature médicale internationale rapporte les premiers cas de “fibroses néphrogéniques systémiques” (FNS) – une complication rare mais grave, potentiellement mortelle, survenant chez des insuffisants rénaux ayant fait l’objet de nombreuses explorations radiologiques. Rapidement, les soupçons se portent sur les produits de contraste utilisés lors de ces explorations. Comme d’habitude en pareille matière, la première question est de savoir si ce type de complication ne survient qu’avec certains produits de contraste (auquel cas, on peut envisager des les retirer du marché et d’utiliser ceux qui ne sont pas toxiques) ou bien s’il s’agit d’une toxicité de classe : les conséquences pratiques, mais également commerciales, de cette alternative vont de soi.

Or, tandis que sur la base des données disponibles, l’administration américaine va rapidement s’orienter vers l’hypothèse d’une toxicité de classe, les autorités françaises, elles, vont tendre à incriminer seulement certains produits de la classe – aubaine commerciale évidente pour ceux des produits de la même classe ainsi réputés ne pas exposer au risque de FNS : car il ne restera plus aux radiologues qu’à se rabattre sur les seconds au détriment des premiers. Seul problème : les “experts” qui ont orienté l’AFSSAPS vers cette interprétation des données disponibles ont des liens d’intérêts notoires (et particulièrement juteux, dit la rumeur publique) avec le fabricant le plus susceptible de bénéficier d’un tel déport de prescription…

C’est dans ce contexte aigu d’alerte que la Société française de radiologie, à l’occasion de ses Journées annuelles, organise une table ronde consacrée aux FNS. Présidée par un membre important de l’AFSSAPS – en principe gage de crédibilité -, cette table ronde réunit quatre orateurs, dont au moins deux notoirement concernés par les liens d’intérêts susmentionnés. Lors de la discussion qui suit les exposés auxquels j’ai assisté comme simple auditeur, je prends la parole en spécifiant d’emblée que je suis venu à la demande d’un fabricant (l’un de ceux menacés par le retrait de son produit) et introduis mon propos en constatant : “qu’il soit donc clair que dans cette salle, je suis le seul intervenant à avoir des liens d’intérêts”. Ambiance… Je n’ai ensuite aucune peine à démontrer que les exposés qui viennent d’être faits tiennent plus du discours marketing que de l’analyse pharmaco-épidémiologique.

In fine, la SFR va rétrospectivement imposer à tous les orateurs de publier sur son site leurs liens d’intérêts, ce qui permettra :

– de confirmer les liens des deux orateurs précédents ;

– de vérifier que, pour au moins l’un d’entre eux, ces liens ont été omis dans sa déclaration à l’AFSSAPS.

Compte tenu de son leadership revendiqué dans les évaluations commanditées par l’AFSSAPS sur la question des FNS, on peut penser qu’une telle dissimulation eût pu exposer l’intéressé aux dispositions répressives de la loi qui incluent :

– l’art. L. 5323-4 du Code de la Santé publique, applicable aux membres des instances consultatives de l’AFSSAPS et à ses collaborateurs extérieurs, qui leur interdit de traiter une question dans laquelle ils auraient un intérêt direct ou indirect ;

– l’article 13 du décret n° 2006-672 du 8 juin 2008 qui interdit aux membres d’un organisme consultatif placé auprès des autorités de l’Etat et des établissements publics administratifs de l’Etat de prendre part aux délibérations lorsqu’ils ont un intérêt personnel à l’affaire qui en est l’objet ;

– l’art. 432-12 du Code pénal, relatif à l’infraction de prise illégale d’intérêts.

Quoi qu’il en soit, dans mon exaspération d’avoir vu un responsable de l’AFSSAPS présider à une mascarade promotionnelle aussi grossière, j’adressai le jour même le premier courrier ci-joint au Directeur Général de l’AFSSAPS – avec copie au Ministre de la santé et au Président de la Haute autorité de santé (HAS) normalement en charge de veiller à l’intégrité de la communication médico-scientifique. Préoccupé des principes bien davantage que des personnes, je ne prenais même pas la peine de désigner nommément les experts défaillants. Soucieux, enfin, d’épargner au Directeur de l’AFSSAPS le désagrément de voir son autorité de tutelle alertée avant lui par suite d’un retard de courrier toujours envisageable, je pris soin, dès avant de quitter mon bureau, de lui faxer le courrier posté le même jour.

Dès le lendemain matin, à la première heure, l’un des deux experts visés téléphonait à mon client industriel pour lui faire part de son indignation quant à une démarche qu’il imaginait téléguidée (il va de soi, en fait, qu’il s’agissait d’une démarche personnelle dont je n’avais même pas pris la peine d’informer mon client). D’où il ressort qu’une agence sanitaire assez patiente pour tolérer durant quelque 9 ans (“dernière déclaration d’intérêts parvenue depuis 2000”) le retard de ses experts à s’acquitter de leurs obligations déclaratives n’a besoin, en revanche, que de quelques heures (quelques minutes ?) pour prévenir les plus dissimulés de ses collaborateurs extérieurs qu’ils viennent d’être pris la main dans le sac…

Cette remarquable réactivité de l’AFSSAPS à protéger ses experts récalcitrants aux règles qu’elle a elle-même édictée s’oppose à la non moins remarquable procrastination des autorités tutelle : près de deux ans plus tard, j’attends encore le moindre signe de vie de la HAS ou du Ministre quant à ce joli cas d’école…

Document joint

  1. L’actualité de santé peut créer très vite des situations où les compétences présumées des experts de l’administration sont susceptibles d’être mises à contribution par des instances privées : pensons, par exemple, à l’émergence des épidémies, voire des pandémies (je cite cet exemple complètement au hasard…)