Site Web du Dr Marc GIRARD

L’option obligatoire : histoire courte

Mens sana in corpore sano
mercredi 18 janvier 2012 par Marc Girard

Déjà célèbre pour avoir associé Médiator à ses régimes 100% naturels, l’excellent Dr Duc** - pardan : Duk** - a récemment fait la proposition géniale de saquer au bac les sales gosses qui, comme dirait Obélix, seraient "un peu bas de poitrine".

Cette intuition de médecine préventive marquée au coin du génie a inspiré l’accorte correspondante qui m’avait déjà transmis son journal de guerre lors du conflit mémorable qui a opposé la Planète ("pandémie") à l’ignoble H1N1, et qui a parfaitement compris qu’à côté de la médicalisation, la réflexion du présent site était fortement axée sur la transmission du savoir : le contrôle citoyen de l’expertise, certes, mais - du même coup aussi - l’enseignement tout simplement [1].

Considérant qu’à raison d’une fois tous les deux ans, une contribution externe ne saurait représenter une menace sérieuse pour le Moi-Je qui règne en tyran paranoïaque sur le présent site, c’est bien volontiers que ce Dernier lui laisse la parole aujourd’hui.

Justyne grimpa quatre à quatre les marches de l’escalier. Au premier palier elle s’arrêta un instant pour reprendre son souffle et regarder sa montre.

9h30.

Elle avait encore le temps. Elle n’était convoquée qu’à 10h00.

Légèrement essoufflée par l’effort qu’elle venait de fournir, elle fouilla dans la poche de sa veste pour retrouver son oxymètre de poche. Ses parents le lui avaient offert pour son anniversaire.

Rien dans la poche droite.

Rien dans la gauche non plus.

Elle sentit comme un étau se resserrer sur son cœur. Elle l’avait perdu…

Non, ce n’était pas possible ! Elle y tenait trop ! Une édition spéciale, rose fluo, qui avait coûté la peau des fesses. Peut-être l’avait-elle glissé dans son sac à main ?

Rien non plus.

Elle se retourna et jeta un coup d’œil dans l’escalier.

Toujours rien.

Elle commença à rebrousser chemin. Elle l’avait peut-être fait tomber en courant. Pourvu qu’elle ne l’ait pas laissé sur la banquette du bus ! Jamais on ne le ramènerait aux objets trouvés !

Tout en descendant l’escalier, elle scrutait le sol en essayant de se souvenir. La dernière fois qu’elle l’avait eu en main…

C’était avant de partir. Elle avait vérifié qu’elle avait bien sa convocation, sa carte d’identité, son livret vaccinal dans son sac où elle avait rangé tous ses dossiers pour la présentation. Elle avait son oxymètre à la main. Elle était sur le point de sortir et le téléphone avait sonné. Elle était allée répondre. C’était sa copine Magaly.

-Tu te dépêches ? Je pars avec Jennyfer ! On se retrouve là-bas ?

Justyne eut un éclair de lucidité. Elle se souvenait à présent. Elle poussa un soupir de soulagement. Elle l’avait laissé à côté du téléphone. Ouf ! Il n’était pas perdu ! Elle était sauvée !

Elle fit demi-tour et recommença à gravir les marches de l’escalier, rassurée quoique légèrement contrariée : elle allait devoir mesurer à la louche, se prendre le pouls à l’ancienne, les doigts sur la carotide, mais au moins, elle ne l’avait pas perdu.

Elle marchait plus calmement à présent. Inutile de s’essouffler. Autant garder ses forces. Et puis elle avait encore de la marge. Il valait mieux garder tous ses moyens pour plus tard. Au quatrième étage, elle suivit les panneaux qui lui indiquaient où se trouvait son jury. Le numéro 8. Son chiffre porte-bonheur. Elle s’engagea dans le couloir. De part et d’autre se trouvaient des chaises sur lesquelles étaient assis des élèves. L’anxiété était presque palpable. On attendait fiévreusement son tour pour passer devant le censeur. Tout le monde avait fait un effort vestimentaire pour l’occasion. Les garçons, sur leur 31, portaient leurs plus beaux pantalons de survêtement avec leurs caleçons par au-dessus, comme c’était la mode ces derniers temps, et un grand nombre de filles s’étaient épilé le sourcil gauche, pratique particulièrement en vogue également.

Au bout du couloir, Justyne retrouva ses amies, Magaly et Jennyfer, qui discutaient à bâtons rompus. Dès qu’elles virent leur amie, elles la mirent au courant : Dilhane s’était pris un vent.

Justyne, un peu perdue, demanda des explications :

-Mais oui, tu le connais, Dilhane, le frère de Tonhi… Celui qui voulait sortir avec Nikky !

-Ah oui, le gros Dilhane ?

-Oui, le gros Dilhane ! Il vient de se faire incendier par le censeur.

Justyne s’assit sur une chaise à côté de ses amies.

-Oui mais bon, poursuivit-elle, il est quand même gros… Il doit être dans les points négatifs.

La réforme du lycée de 2032 avait, pour inaugurer les 20 ans de l’option obligatoire Mens sana in corpore sano, introduit les points négatifs, à prélever sur le total des points du bac, au-delà d’un IMC de 30.

-Tu parles que Dilhane, il risque même de ne pas avoir son bac. Avec la moyenne générale qu’il a eue toute l’année…

Justyne frissonna sur sa chaise : ne pas avoir son bac ! Elle eut un rictus de mépris sur les lèvres. Faire partie des 1% de recalés chaque année ! Quelle horreur ! Quelle honte !

Elle n’avait, elle-même, pas forcément eu une moyenne très folichonne toute l’année, mais elle avait tout de même mis toutes les chances de son côté pour réussir l’option. Cela faisait trois jours qu’elle ne mangeait presque plus et qu’elle se gavait de produits laxatifs et diurétiques pour être au top.

La porte de la salle s’ouvrit. Les conversations cessèrent immédiatement. C’était une autre amie de Justyne, Harmony, qui en sortait, un sourire aux lèvres. Elle avait l’air plutôt contente d’elle.

Le censeur se profila dans l’encadrement de la porte, une liste à la main. C’était un homme d’une quarantaine d’année, plutôt grand et mince, légèrement dégarni au sommet du crâne. Selon la politique du gouvernement, on recrutait les censeurs à Pôle Emploi parmi les chômeurs de longue durée et sur des critères stricts d’IMC exemplaire, car on avait décidé, en hauts lieux, qu’on ne pouvait certainement pas compter sur tous les membres du corps enseignant pour montrer l’exemple. Il fallait bien œuvrer pour un minimum de crédibilité. Ce censeur là officiait depuis plusieurs années et avait la réputation d’être redoutable.

-Jennyfer Nibronze.

La jeune fille se leva nerveusement. Elle ajusta sa jupe et pénétra dans la pièce. La porte se referma derrière eux.

Dans le couloir, Justyne et Magaly échangèrent un regard angoissé. L’heure approchait.

-Tu as révisé ? demanda Justyne.

-Bof ! répondit Magaly.

-Moi j’ai tout préparé. J’ai même un dossier.

-Un dossier ! Ouah ! Moi, j’y ai pas pensé !

-T’aurais dû. Moi, je veux vraiment que ça se passe bien. C’est l’anniversaire de mon père le jour des résultats du bac. J’ai pas envie de lui gâcher sa fête.

-Tu lui as fait un cadeau ?

-Oui, on s’est mis à plusieurs pour lui prendre un truc bien. C’est ses 50 ans. On lui a acheté un tensiomètre glucomètre. On aurait bien aimé lui offrir le kit spécial Endoscopie Mains Libres. Ils en font la pub à la télé en ce moment. Ça a l’air génial ce truc. Les images apparaissent directement sur ton ordi au format vidéo, et elles sont téléchargeables sur Facebook, Youtube et Dailymotion sans problème.

Justyne avait vraiment été tentée par ce kit, mais d’une part, il était tout nouveau et donc encore assez cher, et d’autre part, elle n’était pas sûre que l’équipement soit fiable à 100%. Il y avait quand même pas mal d’histoires d’accidents qui circulaient sur le net.

-Magaly Nacé !

La voix de censeur les surprit toutes les deux. Occupées à papoter, elles n’avaient pas vu le temps passer. Magaly le suivit. Résignée.

Jennyfer, qui était sortie de la pièce, raconta brièvement à Justyne comment ça s’était passé pour elle. Plutôt pas mal. Elle aurait presque tous les points supplémentaires. Elle s’en alla rapidement. Elle avait quelques courses à faire.

Justyne s’adossa contre sa chaise pour attendre son tour. Elle ne connaissait pas les autres candidats qui attendaient à côté d’elle et n’avait aucune envie d’engager la conversation. Elle décida de passer en revue, une dernière fois, ses points forts pour l’épreuve.

De tous les points sur lesquels elle allait être évaluée, c’était peut-être l’IMC, pour la partie corpore sano qui allait être le plus problématique : elle dépassait parfois légèrement le 25. Mais elle tenta de se rassurer en se disant que les trois jours de diète qu’elle venait de passer, plus tous les lavements qu’elle s’était fait subir, devraient lui assurer de se retrouver du bon côté du 25.

Sinon, elle avait vraiment mis le paquet.

Déjà, elle aurait tous les points « vaccination ». Son carnet était à jour et elle avait fait tous les vaccins. Les obligatoires bien sûr, le col de l’utérus, la grippe tous les ans, mais aussi les facultatifs comme le CC et le PdT [2].

Elle faisait également tous les dépistages qui pouvaient se faire. Pour la mammographie elle était trop jeune, même si on prévoyait, dans les hautes sphères, de la rendre obligatoire à partir du Master. Sinon elle était volontaire pour tout ce qui se faisait. Elle s’était même présentée la semaine dernière, sur un coup de tête, pour le dépistage de la trisomie 21, mais on lui avait refusé en prétextant qu’il était trop tard. Elle avait trouvé ça un peu cavalier de la part du laboratoire, d’autant qu’ils étaient loin de l’heure de fermeture et avaient accepté des gens après elle. En plus c’était gratuit, alors elle y avait bien droit quand même ! Il faudrait qu’elle retente le coup dans un autre labo.

Elle avait également passé tous les brevets d’utilisation des appareils médicaux disponibles au grand public. Défibrillateur, bien sûr ! Mais également, elle était particulièrement fière de son accréditation pour utiliser le tout nouveau Méthanomètre, appareil obligatoire depuis cette année pour mesurer la qualité de l’air dans les endroits confinés.

Quant à la partie mens sana de l’examen, elle était fin prête. Elle n’avait négligé aucun des incontournables.

D’une part, elle ne ratait jamais une Journée de la Gentillesse.

Elle ne ratait jamais non plus un concert des Enfoirés. Elle avait même apporté sa collection de CD histoire de prouver son engagement ; et on pouvait la questionner sur « qui chantait quoi » au dernier concert – et au moins sur les cinq précédents – elle était incollable.

Pour le Téléthon, elle donnait carrément de sa personne, et avait apporté un album photo où on la voyait engagée dans la lutte contre la Maladie. Elle avait soigneusement étiqueté ses photos pour ne pas oublier les noms de toutes les maladies – il y en avait des compliquées, et sous chaque cliché on pouvait lire : Moi et un paraplégique, Moi et un myopathe, Moi et…

Mais de toutes les photos qu’elle possédait, elle était particulièrement fière de sa dernière : Moi à la marche blanche. Un coup de bol vraiment ! Il y en avait eu une sur son lieu de vacances, dans le Sud, l’été dernier. Bien sûr, elle n’avait pas hésité à y participer et elle se serait bien rendue à la cellule psychologique organisée pour l’occasion, mais c’était la fin de la location et elle avait dû rentrer chez elle.

La voix du censeur la sortit de sa rêverie :

-Justyne Fois !

Justyne se leva un sourire aux lèvres. Elle allait assurer.

[1Mes fidèles lecteurs ont sans doute repéré que Philippe Meirieu - chef de file de la "Pédagogie nouvelle" (autre trouvaille marquée au coin du génie) et accessoirement numéro 3 des Verts (idem) - faisait partie des personnages le plus régulièrement célébrés dans mes Perles.

[2Respectivement Common Cold et Pet de Travers.


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