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La brutalisation du corps féminin dans la médecine moderne

mardi 30 mars 2010 par Marc Girard

Je n’ai cessé de le dire : le scandale de la grippe "porcine" n’est qu’un épiphénomène dans un processus de médicalisation bien plus profond - qui se trouve au coeur de ma réflexion et de mon engagement.

Le présent article ne date pas d’hier (son premier exposé public remonte à septembre 2004) et a déjà bien circulé sur le net ; mais au cours des rencontres publiques qui ont scandé ces dernières semaines, les thèmes qu’il abordait déjà ont fréquemment refait surface, suscitant d’autant plus d’intérêt que, dans le scepticisme suscité par la grippe "porcine", il est devenu soudain plus facile d’inciter les gens à reconsidérer les pratiques de la médicalisation moderne.

Je replace donc cet article dans l’actualité des textes que je souhaite faire connaître aux citoyens.

Un univers inversé

Quand je pense à la médicalisation du corps féminin, je suis frappé par
quelque
chose de sinistre : tout cela s’est constitué comme un inquiétant univers
inversé,
comme une sorte de monde à l’envers effrayant où les impulsions les plus
élémentaires et les moins contestables de notre nature sexuée sont comme
systématiquement mises hors jeu, remplacées qu’elles se trouvent par des
rituels
caricaturalement antagonistes. Facilement objectivable par le spécialiste de
recherche clinique, c’est bien cette dimension de caricature, de trop, qui
ne laisse pas
de préoccuper et d’exhorter le freudien à l’interprétation.

Prenons le jeu pourtant élémentaire du regard et de la pudeur : l’homme – il
est
construit comme cela – cherche toujours à en voir plus que la femme n’est
disposée
à lui montrer, et la séduction est d’abord la conquête par le regard d’une
intimité
progressivement dévoilée. Même sans y avoir été invité par une jupe trop
fendue ou
un décolleté un peu profond, l’homme – certes à ses risques et périls –
s’ingénie à
reconstituer l’anatomie féminine fût-elle dissimulée par la plus grossière des
étoffes.
C’est comme cela, probablement un peu partout, sauf en terre médicale : la
pudeur
et la séduction n’ont plus aucune raison d’être dès qu’on franchit les limites
d’un
service de gynécologie. Aux consultations du Planning familial, la plus
splendide des
gamines [1] était requise de se déshabiller
complètement dans une cabine, d’attendre la
lumière verte et de se présenter entièrement nue, durant toute la
consultation,
devant un individu en blouse blanche généralement parfaitement inconnu et
interchangeable d’une consultation sur l’autre. Il fallait donc en passer par
là, par
cette stupéfiante mise en scène du désir évacué, pour obtenir le sésame d’une
sexualité « libérée ». Or, quelle justification technique pour ce rituel
dégradant ?
Aucune : l’intérêt de la consultation préalable avant prescription de pilule
est
tellement problématique que l’on a envisagé un temps de la supprimer
et, en
tout
état de cause, les paramètres pertinents en matière de contre-indications
relèvent
plus de mesures chastes (prise de poids ou de pression artérielle) ou
d’examens
complémentaires (prise de sang) que d’évaluations fondées sur un attentat à la
pudeur.

Autre exemple de pulsion élémentaire : la possessivité mâle. Chez les
mammifères en
général, et les hommes en particulier, l’adrénaline monte très vite quand un
mâle
voit un autre mâle s’approcher d’une femelle sur laquelle – à tort ou à
raison – il
estime disposer de certaines prérogatives. Ça a toujours été comme cela – ça
soustend
même une bonne part des théories de Darwin –, sauf à l’hôpital. Entrez dans
une salle d’accouchement. Le mari est là (c’est un acquis paraît-il précieux
de
l’obstétrique moderne), on lui a même fait revêtir la tunique blanche des
agresseurs.

Sa femme est là, elle aussi, entièrement nue encore une fois et tout le monde
l’agresse : on la force à rester allongée quand aucune femme n’aurait jamais
spontanément l’idée incongrue de s’allonger pour accoucher, de toute façon on
a pris
soin de l’attacher dans l’improbable cas où elle voudrait bouger, on lui rase
les poils
de la vulve [2] on l’engueule si elle se plaint trop
(accouchement « sans douleur » oblige) et on va finir par lui taillader la
vulve. Et dans cette séquence d’une
sauvagerie inouïe, que fait le mari ? Il se pâme d’émotion, se confond en
remerciements à l’égard des brutes qui s’acharnent sur son épouse, sans
apercevoir
que de tels actes de barbarie sur une femme innocente justifieraient un
meurtre dans
n’importe quelle autre circonstance.

Or, quelle justification technique, là encore ?
Aucune : les rares investigations disponibles confirment l’idée de bon sens
que
l’accouchement en position accroupie est infiniment plus eutocique que
l’accouchement en décubitus
, et je reviendrai plus loin sur la monstrueuse
absurdité
de l’épisiotomie. De plus, et tout en attendant avec beaucoup d’impatience la
ou les
études qui démontreront l’intérêt du rasage vulvaire, réfléchissons de façon
un peu
rationnelle à cette obsession de l’asepsie en obstétrique. Juste avant la
naissance, un
nouveau-né se présente comme un être absolument vierge bactériologiquement, à
ce
titre extrêmement vulnérable à toute contamination microbienne ; dans cette
situation exceptionnelle, la filière vaginale – quoique objectivement
grouillante – n’est
pas cette zone plus ou moins accréditée comme immonde par des décennies de
médecine et de microbiologie, mais une voie de passage providentielle au
travers de
laquelle le corps du bébé va se voir massivement colonisé par ce qu’on peut
concevoir de plus « ami » en matière d’interactions bactériennes – les germes
de sa
mère ; on peut admettre sans grand effort qu’en matière d’amitiés microbiennes
bilatérales, les germes du père, ensuite, méritent une inscription de second
rang – et
que de toute façon, qu’elles soient maternelles ou paternelles, les
inévitables
potentialités pathogènes liées à toute cette circulation bactérienne ou
mycosique
seront contrôlées au mieux par tous les transferts immunologiques inhérents à
l’allaitement naturel. Or, c’est précisément cette dynamique subtile
d’écologie
microbienne que le cérémonial obstétrical s’applique à réduire à néant, en
contrariant
– par des mesures censément « hygiéniques » dont l’intérêt n’a jamais été si
peu que
ce soit validé
– les colonisations amies et en maximisant l’exposition du
bébé à des
germes d’origine hospitalière. Certes, il n’existe pas, à ma connaissance,
d’étude
épidémiologique démontrant que le risque d’infection néo-natale soit réduit
par un
accouchement non hospitalier [3], mais il
semble clair que, dépourvu du moindre intérêt technique documenté, le
cérémonial obstétrical classique maximise ce qui reste, pour une grossesse
d’évolution normale (il y en a encore…), le risque numéro un de la période
néo-natale : l’infection
.

On voit, sur la base de ces deux exemples, qu’il s’agit bien de ritualisations
perverses
et non pas de procédures garanties par l’exigence hippocratique de chasteté
dans la
relation thérapeutique : il n’y a rien de chaste dans le fait de forcer une
jeune
femme, éventuellement vierge, à se présenter entièrement nue, surtout
lorsqu’il est
patent que cette humiliation ne correspond à aucune contrainte technique. A
titre de
contre-exemple évocateur, on citera le cérémonial de la cure freudienne dans
lequel
l’intimité dévoilée (mais progressivement !) n’est même pas incompatible avec
la
circulation du désir via transfert et contre-transfert, puisque ce désir
est, lui,
authentiquement contraint par une exigence de chasteté dont la justification
technique va de soi.

Une inversion à sens unique

Cette propension de la médecine à mettre en oeuvre, sans le moindre motif
technique, des rituels d’inversion qui bafouent la dignité sexuelle de la
femme est
d’autant plus frappante que symétriquement, les médecins sont le plus souvent
aux
abonnés absents quand leurs savoirs les mettraient en position de réintégrer,
ou de
renforcer les individus dans leur intégrité sexuelle. Deux exemples là
encore :
- Il existe, à l’heure actuelle et chez des milliers de jeunes femmes, une
immense misère sexuelle dont on parle étonnamment peu, à savoir celle liée
aux mycoses génitales récurrentes. Sur cette question, la doxa médicale me
paraît là encore marquée par une préoccupante irrationalité. Je ne connais
aucune étude sérieuse validant la thèse du « foyer digestif » (qui a été
cependant la providence des marchands d’antimycosiques per os) et, elle non
plus validée par aucune étude, la recommandation de traiter le partenaire
défie la raison : par rapport à un désordre patent de l’écologie des germes
commensaux, ça rime à quoi de prendre le risque que les levures avec
lesquelles l’homme viendra nécessairement recontaminer sa partenaire aient
éventuellement acquis des résistances aux anti-fongiques ?… En revanche,
nous savons que la cause actuellement la mieux identifiée de déséquilibre
écologique pour la flore vaginale est bel et bien la pilule, et l’expérience
suggère que l’éradication de cette cause se traduit le plus souvent par des
guérisons spectaculaires : mais même à notre époque de « libération »
supposée, les jeunes femmes, apparemment, n’ont pas droit à unei nformation
claire quant aux inconvénients iatrogènes de la contraception orale sur leur
équilibre sexuel [4] [5].
- L’autre exemple concerne cette misère encore plus pathétique des jeunes
mères, innombrables elles aussi, qui ne parviennent pas à allaiter leur enfant
faute de produire du lait en suffisance. Il suffit de feuilleter les manuels
de
périnatologie pour apercevoir, de par la variété des remèdes proposés (la
bière…), la fréquence et la régularité d’un problème dont on sait comme il
peut être vécu par les intéressées avec angoisse, humiliation et désespoir.
Or,
alors que tout le monde sait que l’ocytocine est l’hormone-clé de la montée
laiteuse, personne ne semble s’être avisé que l’orgasme en est le moyen de
libération le plus sûr et le moins cher. Vous me direz, évidemment, à six
tétées par jour, le pré-requis orgasmique risque de se révéler éprouvant :
mais outre que cela reste à voir et que c’est une question de choix personnel,
l’expérience suggère qu’il n’en faut pas autant pour rassurer la jeune femme
et l’ancrer dans le sentiment de sa suffisance comme mère nourricière. En tout
état de cause, c’est aussi un moyen plus facétieux et moins humiliant que le
rituel de la salle d’accouchement pour associer le père à la cogestion du
postpartum …

Cette agression ritualisée de la dignité physique et sexuelle de la femme
n’est qu’une
mise en actes d’un état d’esprit bien plus général et profond qui conduit à
nier tant la
perplexité de l’homme devant la féminité que son inépuisable fascination pour
l’esthétique du corps féminin.

Une presqu’île insipide

Par opposition à la perplexité avouée de Freud pour le fameux « continent
noir », on
pourrait dire que dans l’axiologie médicale classique, la féminité c’est au
mieux un
village de plaisance – ou une presqu’île insipide. La médecine, en effet,
n’est jamais
en panne de réponse quand il s’agit de délimiter les territoires du féminin.
Comme
moi, sans doute, vous avez appris qu’en cas de dysgénésie gonadique à la
naissance,
il était plus facile d’envisager la reconstruction chirurgicale d’une femme
que celle
d’un homme : mais quoi de « féminin » dans la reconstruction finale ?

En tout état de cause, dans les grimoires médicaux, l’équation du féminin est
le plus
souvent du premier degré – et sans inconnue. S’interroge-t-on – ce qu’on ne
fait pas
assez souvent – quant aux effets de la contraception orale sur la libido
féminine que
l’on se voit répondre que chez la femme, l’essentiel se passe dans la tête :
c’est
d’ailleurs vrai que quand on s’applique à obtenir par des moyens hormonaux
symétriques le même type de contraception chez l’homme, les vomissements
incoercibles ou les troubles de l’érection sont des stigmates plus voyants du
pouvoir des glandes sur la sexualité humaine …

Quoi qu’il en soit et nonobstant cette concession au symbolique finalement
assez exceptionnelle en médecine, la femme de 50 ans et plus redevient une
femelle purement estrogénodépendante quand il s’agit de justifier un
traitement hormonal de substitution (d’ailleurs contre l’évidence cumulée des
investigations cliniques ou épidémiologiques.) Tout dans la tête avant 50
ans, tout dans les ovaires après [6]

Chez les jeunes femmes de toute façon, cette primauté du symbolique, pour
avantageuse qu’elle soit quand il convient de nier les effets iatrogènes d’une
authentique castration chimique, s’efface absolument lorsqu’on en arrive à une
autre
équation du féminin où il semble cette fois aller de soi que les paramètres du
psychisme doivent être mis hors jeu : je veux parler de la fécondité et des
problèmes
de l’infertilité. Pas de doute, à présent : tout est dans les glandes et c’est
bien à la
substitution de leurs défaillances élémentaires que s’attachent – pour un coût
financier exorbitant soit dit en passant – les innombrables procédures de
procréation
artificielle. Or, qu’est-ce les heureuses élues vont se voir offrir en échange
de leurs
coïts programmés dans l’horreur d’une médicalisation absolue, généralement
étalée
sur des années ? Outre des effets iatrogènes assez préoccupants, voire
potentiellement fatals, des résultats d’efficacité problématiques dont on ne
peut pas
dire qu’ils aient fait l’objet de validations très rigoureuses ; une récente
métaanalyse [7] montre
que, sur les essais cliniques publiés – càd au top de la pratique en la
matière – moins de 10% des études expriment leurs résultats en termes de
naissance viable, paramètre d’évaluation dont on aurait pu penser, pourtant,
qu’il s’impose comme le seul pertinent. De recoupement en recoupement sur ces
données
tronquées, on en arrive à reconstituer un taux de réussite d’environ 25% des
cas, ce
qui doit correspondre au pourcentage notoirement reconnu depuis l’antiquité au
moins pour une naissance spontanée dans une population de femmes réputées plus
ou moins « stériles »… Je n’ai pas su si je devais rire ou pleurer quand une
femme
tombée enceinte environ six mois après que je l’avais arrachée à des années de
médicalisation forcenée pour « stérilité » m’a confiée sa lassitude d’être
encore
obligée de prendre la pilule plus de 10 ans après, et sa colère de s’être
récemment
fait jeter pas sa gynécologue qui a jugé, dans un accès inhabituel de
modération,
qu’on devrait attendre encore avant d’envisager une ligature des trompes à 48
ans [8]

Un martyrologe constamment renouvelé

Tout cela serait plaisant si ce n’était tragique. Car cette conception
simplissime de la
féminité sous-tend, par son arrogance et le manque de scrupules résultant, une
véritable martyrologie des femmes : la médecine moderne n’a jamais eu peur de
faire souffrir le corps féminin, voire de le mutiler, ou de le tuer.

Nous savons, parce que cela a été démontré, que voici encore relativement peu
à
l’échelle de l’histoire moderne, la mortalité iatrogène des accouchées était
sans
commune mesure avec celle des femmes échappant à tout contrôle
médical [9].

Mais mon propos ne concerne pas que le passé : pour stupéfiante qu’elle soit,
la durabilité
du mépris ou de la haine pour la vulve féminine est attestée aujourd’hui
encore par
l’incroyable persistance d’une pratique que, lors d’un récent débat dans les
colonnes
du Lancet, nous sommes quelques-uns à avoir qualifiée de « barbare » [10]
je veux
parler de l’épisiotomie. Interrogez n’importe quel obstétricien, n’importe
quelle sage-femme, on vous répondra que la chose n’est jamais opérée qu’avec
le plus grand
discernement et que, de toute façon, la procédure est remarquablement bénigne
et
indolore. Interrogez les chiffres, à présent, et vous verrez que ledit
discernement
conduit à taillader environ 95% des accouchées, tout portant à croire que
celles qui
en réchappent ont eu le bon goût d’accoucher assez vite pour qu’on n’ait pas
le
temps de sortir les ciseaux. Interrogez la méthodologie de la recherche
pharmaceutique : vous verrez que cette procédure réputée si indolore est l’un
des
modèles le mieux établis pour les essais cliniques sur les antalgiques.
Interrogez
l’évidence cumulée de dizaines d’essais sur l’efficacité d’une procédure aussi
incroyablement brutale : vous apprendrez qu’en moyenne, les déchirures
périnéales
après épisiotomie sont plus graves et plus délabrantes que celles qui
surviennent
spontanément. Interrogez, enfin, les femmes dans leur intimité : vous verrez
que le
nombre de celles qui n’osent se plaindre de séquelles durables, notamment dans
leur
vie sexuelle, n’est pas négligeable [11].

Les exemples pourraient être multipliés. Car, même si la médecine n’a jamais
pu
envisager l’équation du féminin sous forme autre qu’élémentaire, elle est
néanmoins
passée maître dans les techniques de simplification : il est considéré comme
acquis
en effet que tout ce qui pose problème dans l’anatomo-physiologie du corps
féminin
peut être éliminé sans autre forme de procès. Il en va ainsi, on l’a vu, de la
subtile
machinerie encore mal comprise du cycle hormonal, même si le prix à payer –
outre
une qualité de vie problématique – va des effets cutanés plus ou moins graves
ou
voyants aux cancers du sein en passant par les accidents cardio-vasculaires :
une
récente étude a estimé à quelque 430 par ans le nombre de jeunes Américaines
redevables à leur contraception orale d’une hémorragie
sous-arachnoïdienne [12], chiffre considérable [13] eu égard au fait que ces hémorragies méningées ne sont quand
même pas la complication la plus fréquente ni la mieux documentée de la
pilule. En tout état de cause, qu’il s’agisse du col ou du corps utérin, des
ovaires, des trompes, des seins, de la thyroïde, des plaques de cellulite ou,
bien entendu, des poils vulvaires, il n’est pas une partie du corps féminin
qui soit réputée irremplaçable.
Que dire des tonnes de seins qui sont partis à la poubelle sur la base d’une
mammographie mal lue dans un contexte, de toute façon, où nous sommes toujours
dans l’attente d’une démonstration convaincante de l’intérêt de cette
procédure
radiographique douloureuse et incertaine que l’on s’acharne néanmoins à
accréditer
comme providentielle dans une idéologie du « prophylactiquement
correct » [14] ?
Que dire encore de ce prophylactiquement correct qui a conduit, depuis des
dizaines d’années, des millions de femmes ménopausées à ingurgiter, sur des
arguments de pure complaisance, des estrogènes de substitution quand il
apparaît des premiers
essais cliniques enfin mis en place que les effets effectivement observés en
pratique
sont strictement antagonistes avec ceux qui ont sous-tendu la promotion de ces
traitements [15].

Réponse à tout

Ce qui ressort de ce bref inventaire, c’est aussi que la brutalisation, voire
le martyre
du corps féminin ne peuvent être imputés aux excès d’une technicisation
désexuante
qui s’appliquerait identiquement à l’homme : pour envisager une orchidectomie
même chez un homme très âgé, on y regarde de plus près que pour « la totale »
chez une femme passée la quarantaine alors même que se posent, chez la
seconde,
des problèmes de statique pelvienne qui n’ont aucun équivalent chez le
premier. Que
la médecine occidentale soit brutale, excessivement brutale ne fait pas
l’ombre d’un
doute. Mais mon propos de ce jour ne vise pas cette brutalité séculaire : il
pointe un
excès
de brutalité qui touche spécifiquement la femme [16].

Dans la pratique médicale, le corps féminin fait l’objet d’un excès
d’attention, car
c’est bien dans tous les domaines de la féminité et à chaque étape de la vie
que la
médecine s’interpose – et qu’elle a réponse à tout. Depuis au moins la
pré-adolescence jusqu’à la post-ménopause, les femmes sont l’objet d’une
surveillance
toute spécifique, et les remèdes qu’on leur propose font frémir le spécialiste
de
iatrogénie : les hormones de croissance à la moindre alerte sur la puberté
(qu’elle
soit présumée précoce ou tardive), les progestatifs aux premiers troubles des
règles,
la pilule le plus tôt possible à titre de précaution tous azimuts – par
exemple pour
accompagner une prescription d’anti-acnéique ! –, les FIV aux premiers
symptômes
d’une subfertilité initialement supposée mais durablement consolidée ensuite
par une
médicalisation délirante, les échographies multipliées dès le premiers jour de
grossesse, l’épisiotomie assurée pour l’accouchement et les césariennes à
tire-larigot
pour un oui pour un non, le stérilet ensuite, puis les hormones de
substitution dont
quelques malins commençaient même à nous expliquer l’intérêt dès la
quarantaine
via la subtile innovation nosographique de la « pré-ménopause », etc. Quoi de
comparable chez l’homme ?

Mais cet excès d’attention qui a réponse à tout à chaque étape de la vie –
c’est une
attention de réduction, de dénégation et plus encore, de dégradation : les
poils
intimes ne sont plus qu’une broussaille nauséabonde source de toutes les
contaminations potentielles, la vulve n’est qu’un étranglement inopportun,
l’utérus
une source évitable d’emmerdements [17], les ovaires des glandes facilement substituables,
les seins des morceaux de barbaque sans intérêt vital. Dans l’idéal du corps
ainsi rectifié par la médecine, qu’est-ce qui reste de féminin [18] ? J’ai introduit mon
propos en évoquant un monde inversé …

Récupération

Il arrive néanmoins que l’évidence – au sens des anglo-saxon – finisse par
faire
entendre sa voix dans un tel délire. C’est ce qui s’est passé, par exemple,
pour
l’allaitement maternel, dont plus personne ne conteste sérieusement les
vertus. Mais
après l’énorme essai d’y substituer un allaitement artificiel dans les années
50, la
médecine n’a fait aucun effort sérieux d’autocritique – ni pour identifier
rétrospectivement les sirènes qui avaient pu conduire une profession entière à
engager les mères sur la voie d’un artifice aussi dommageable, ni pour évaluer
sérieusement les conséquences sanitaires de l’allaitement artificiel sur toute
une
génération : aujourd’hui, l’allaitement « maternel » – ne dites jamais : « 
naturel » –
et bel et bien conçu comme une victoire de la médecine moderne – une victoire
sur des pratiques anciennes dont on a oublié le déterminisme exact mais où il
est tenu
comme allant de soi que l’obscurantisme féminin a dû finalement s’effacer
devant la
rationalité médicale.

Il en va de même avec les mammectomies, heureusement en voie de régression.
Loin d’esquisser un mouvement de repentance et de reconnaître qu’en matière de
cancer du sein, la médecine a fait plus ou moins n’importe quoi, les
gynécologues, la
main dans la main avec les radiologues et les cancérologues, tendent à
accréditer
comme un miracle de la médecine moderne qu’on trouve encore des femmes de la
quarantaine avec des nichons intacts ! Mais à une condition, évidemment :
qu’elles
fassent allégeance à une médicalisation qui leur impose le rituel pénible et
techniquement non validé de la mammographie, pour ne point parler, chez
certaines,
du tamoxifène qui, outre une prise de poids conséquente, les bouffées de
chaleur et
des métrorragies incontrôlables, remplace le risque – minime – d’un cancer
controlatéral par celui d’un accident vasculaire cérébral… Bah ! c’est quoi la
tête,
chez une femme ?

Ainsi, lorsque le féminin revient au galop après que les médecins ont cherché
à
l’éliminer, ce n’est pas pour repérer les limites de la brutalisation, mais au
contraire
pour accréditer une récupération et célébrer le triomphe de la médicalisation.

L’immonde féminin

Soit donc le livre légèrement daté d’un éminent académicien qui s’intitule :
Hygiène
et maladies de la femme
. On n’aurait aucune peine à documenter, sur
d’innombrables écrits équivalents, cette obsession de la médecine à l’égard de
l’hygiène féminine. Mais ça viendrait à l’esprit de qui d’écrire un livre :
Hygiène et
maladies de l’homme
 ?

Il faut donc comprendre que c’est parce qu’elles sont potentiellement
dégoûtantes
que les femmes ont besoin d’une telle attention médicale : la médecine comme
barrière à l’immonde féminin …

Nous touchons-là un des thèmes de recherche sur lequel je souhaitais attirer
votre
attention. A n’en pas douter, l’antagonisme homme/femme est antérieur à la
naissance de la médecine moderne : mais il revient à cette médecine d’avoir
déplacé les racines de l’antagonisme d’une angoisse fondamentale – la
peur viscérale de l’homme à l’égard des puissances supposées du féminin –
à un simple dégoût rationalisé sur la base d’un supposé savoir quant à la
physiopathologie des femmes
.

Face à ce corps bâti en reliefs et en creux comme pour la prise et l’emprise,
l’homme,
probablement depuis la nuit des temps, se trouve cisaillé par une double
angoisse :
rater l’abordage, certes, mais également laisser inassouvi ce creux par
essence
inépuisable. Car lorsque l’homme ne peut plus, la femme peut encore – il lui
suffit de
vouloir… C’est bien cette angoisse fondamentale – au coeur du Sacré – qui se
trouve
désamorcée par les pseudo-savoirs de la médecine : l’homme a raison non
d’avoir
peur, mais de se méfier, car on ne sait jamais quelles saletés on va trouver
au fond
de ce trou-là, et il n’y a rien d’inépuisable, d’autre part, dans ce corps
féminin qu’il est tellement facile de pénétrer par spéculum interposé ou de
démonter par
morceaux [19]

Déculturation

J’en viens à la deuxième hypothèse que je voulais évoquer devant vous, qui
touche à
l’origine historique de ce déplacement.

Historiquement, il est possible de corréler cette « prise en main » du corps
féminin
avec les premiers essais de médicalisation de l’accouchement, lorsque les
chirurgiens
commencent à s’immiscer. C’est l’époque qui introduit à l’idée de sages-femmes
accréditées par l’autorité conjointe du Roi et du curé local [20]. C’est aussi l’époque

l’on voit paraître, sous la plume des chirurgiens en question, les premières
dénonciations – particulièrement sévères – des sages-femmes « sauvages » [21], celles de la société traditionnelle, celles des
contes de fées …

Or, il est frappant que cette médicalisation s’inscrit dans le sillage d’un
intense
mouvement de reprise en main des masses populaires : à l’échelle de
l’histoire, le
moment où le pouvoir central s’interroge sur l’intérêt d’accréditer les
sages-femmes
apparaît bien proche de celui où, avec l’objectif avoué d’une
ré-évangélisation, il
envoie dans les campagnes les nouveaux prêtres trempés dans l’esprit du
Concile de
Trente.

Le formidable ébranlement de la Contre-Réforme, c’est le moment de l’Ancien
Régime où, sous la poussée des revendications protestantes, toutes les
autorités en
place sentent un séisme qui menace leur pouvoir et leurs privilèges
 [22] ; le moment où les « élites » conscientisent
qu’il s’en faut de beaucoup que leurs valeurs aient profondément conquis le
cœur et l’esprit du peuple ; le moment où il n’est plus possible d’ignorer
que par delà le vernis d’une conversion inconsidérément tenue pour acquise,
les masses restent viscéralement ancrées dans les valeurs et pratiques d’une
culture bien plus ancienne. Il est significatif que l’entreprise de
déculturation forcenée qui s’ensuit se développe alors selon deux axes
principaux : d’une part, l’évangélisation des esprits selon les canons
fermement ré-affirmés du récent Concile, d’autre part la prise en charge du
corps féminin via une médicalisation de
l’accouchement, càd de cet instant précis où s’actualise le plus
spectaculairement les
racines du pouvoir féminin dans la société traditionnelle – son aptitude à
exister tout
à la fois en creux et en protubérance, sa bisexualité en un mot.

Dans cette perspective, la contribution de la médecine moderne à l’entreprise
de
déculturation née de la Contre-Réforme apparaît plus clairement. Car ce qui
distingue le plus la société traditionnelle de la société contemporaine, c’est
justement la place bien plus spécifique des femmes
 [23] – détentrices comme par hasard des pouvoirs et
savoirs qui sont aujourd’hui le monopole de
notre profession : ceux qui portent sur le sexe, la procréation et
l’accouchement
. Et si l’on admet que la déculturation post-tridentine
passait par la confiscation de ces savoirs et pouvoirs féminins, il en
résulte que la médicalisation a été un ressort essentiel de cette
entreprise : la Contre-Réforme, c’est aussi la grande vague des procès de
sorciers – dont on sait aujourd’hui qu’ils ont été pour leur majorité des
procès de sorcières, visant précisément souvent ces femmes isolées ou
recluses auxquelles la société traditionnelle se référait dans les grandes
moments de l’accouchement, du mariage, de la procréation et de la maladie.

Ce n’est donc guère forcer le trait de constater que, en exterminant nos
concurrentes, les bûchers de l’Inquisition ont puissamment contribué à
l’installation – au moins idéologique – du monopole médical contemporain et
que, symétriquement, ni les médecins ni les sages-femmes assermentées n’ont
jamais refusé le secours de leur science lorsqu’il s’est agi, à la demande
des inquisiteurs, de documenter les spécificités anatomophysiologiques « 
objectivant » l’emprise du Malin sur le corps maudit des sorcières. Est-il
anodin que la fin de la chasse aux sorcières soit à peu près contemporaine
des premiers édits visant à une formation plus académique des sages-femmes :
il n’y a plus besoin de les brûler quand on s’est assuré le contrôle de leurs
savoirs et pouvoirs.

Reconnaître que la médecine – la nôtre – ait pu être l’outil d’une
déculturation
d’essence religieuse conduit symétriquement à s’interroger sur les valeurs
cléricales
susceptibles d’imprégner notre idéologie dissimulée sous le vernis de la « 
Science ».
On peut se demander, justement, ce que la brutalisation du corps féminin et,
notamment, l’horreur compulsionnelle de la médecine pour le vagin, doivent à
la
misogynie – et même à l’homosexualité plus ou moins latente – des clercs qui
ont
envoyé nos ancêtres chirurgiens co-évangéliser les masses paysannes …

En tout état de cause, cette élimination des femmes de leurs positions
traditionnelles
ne relève pas seulement exclusivement de l’histoire, fût-elle moderne : c’est
un enjeu
toujours contemporain. Le débat sur la prescription de la pilule aux mineures
dissimulait qu’il restait des âges de la vie féminine où, traditionnellement,
les
médecins passaient encore après les mères. Que reste-t-il aujourd’hui pour
préserver
les jeunes filles d’une médecine qui s’est constituée dans l’horreur de leur
corps ?

Conclusion

Méditer, cependant, sur la misogynie compulsive où s’enracine la médecine
moderne, c’est aussi introduire à une interrogation sur le sadisme – au
sens freudien – de notre savoir et de nos pratiques. Vaste question …

[1Je parle ici du désir évacué, ou plutôt de sa mise en scène ; mais il
va de soi que le problème, et l’humiliation, sont encore pires pour celles
des gamines qui ne sont pas splendides …

[2Cette allusion au cérémonial dégradant du rasage vulvaire m’a
valu de certains confrères des critiques acerbes quant à la ringardise de mes
sources : à les entendre, cela faisait des décennies, sinon des siècles, que
l’on ne touchait plus au système pileux des parturientes. La diffusion du
présent texte sur Internet (à l’initiative de certaines associations) m’a
permis de vérifier, via les témoignages circulant dans les forums qu’il a
inspirés, que je n’avais pas rêvé : des femmes se souviennent très
bien de quoi je parle ici …

[3Le rasage vulvaire n’est lui-même que l’avatar
d’une procédure bien plus brutale consistant à raser le pubis tout entier.
Dans son livre Medecine and culture (The Guernesey Press Co Ltd, 1990, p.
31), Lynn Payer rappelle, références à l’appui, qu’une étude publiée dès 1922
(et confirmée par une autre datée de 1965) documentait plus d’infections chez
les femmes rasées que chez celles qui ne l’étaient
pas, mais que cela n’a pas empêché la pratique de perdurer.

[4Comme le disaient récemment E. Grant et coll (Lancet 2003 ;
362 : 1241), c’est politiquement plus correct de dénoncer les ravages du
tabac que ceux de la pilule …

[5Cette désinformation vaut, également, pour
l’hormonothérapie de substitution. Encore en septembre 2007, dans un article
consacré à la ménopause chirurgicale, la revue Gynécologie Obstétrique
Pratique (la plus distribuée chez les gynécologues français) n’hésite pas à
soutenir sans une once de réserve (p. 14) : « Avant toute décision, entre 45
et 50 ans, la patiente sera informée (sic) des bénéfices du THS » …

[6Un article du Monde (01/02/06) rapporte que
l’administration de « contraceptifs à base d’hormones » pour limiter la
surpopulation des éléphants au parc Kruger (Afrique du Sud) a « provoqué un
véritable traumatisme parmi la horde » : les femelles étaient tout le temps
en chaleur…
Il y a quelque chose de pitoyable dans le contraste entre l’attention des
scientifiques aux désordres libidinaux des éléphantes sous pilule et le
politiquement correct qui consiste à strictement ignorer le problème dès lors
qu’il s’agit de femmes… On retrouve ce même contraste dans un article
alarmiste du Parisien (02/07/07) consacré à la pollution des rivières par les
résidus de médicaments : on y apprend que « une étude publiée en 2003 accuse
la pilule contraceptive rejetée dans les urines des femmes de mettre en péril
la reproduction des poissons ». Les pauvres bêtes …

[7Vail A, Gardener E. Common statistical errors in the design and
analysis of subfertility trials. Hum Reprod 2003 ; 18 : 1000-1004

[8Une étude de la CNAM présentée le 25/06/04 sur le site du Quotidien du
médecin (33docpro.com) atteste que chez les deux tiers des femmes traitées
par un inducteur de l’ovulation comme le clomiphène, le spermogramme du
partenaire n’a même pas été réalisé : il est difficile de caractériser plus
nettement l’incroyable manque de rigueur qui préside aux traitements de
l’infertilité présumée.

[9Olatunbosun OA, Edouard L, Pierson RA. Physicians’ attitudes toward
evidence base obstetric
practice : a questionnaire survey. BMJ 1998 ; 316 : 36566. Pini P. Doctors should
have left well alone. Lancet 1996 ; 347 : 1174

[10Girard
M. Episiotomy : a form of genital mutilation. Lancet 1999 ; 354 : 595-596

[11Une récente revue (Hartmann et coll, JAMA
2005 ; 293 : 2141-8) confirme, l’absence de bénéfice de l’épisiotomie ainsi que
ses inconvénients, notamment en termes de douleurs résiduelles.

[12Johnston SC, Colford JM, Gress DR. Oral contraceptives
and the risk of subarachnoid hemorrhage. A
meta-analysis. Neurology 1998 ; 51 : 411-418

[13Très
supérieur, par exemple, aux pertes militaires considérées comme « 
acceptables » dans une guerre comme celle menée par les Etats-Unis en Irak
(du moins lorsqu’elle a été lancée : il suffit de se reporter à la presse de
l’époque) …

[14Dans une mise au point très récente (Gynécologie Pratique, mai
2004 : 1-4) sur la technique du
ganglion sentinelle dans le cancer du sein, D. Zarka s’étonne de l’ignorance
dans laquelle restent nombre de chirurgiens quant à cette procédure nettement
moins délabrante que le curage axillaire classique et rapport cette ignorance
à la « susceptibilité » des médecins et à leur refus de se former. Il conclut
en exhortant les chirurgiens « dont la pratique est insuffisante » à cesser
de « (mal)traiter leurs patientes ». Propos d’un spécialiste de terrain …

[15Ce qui conduit, à l’automne 2003, les autorités allemande à
considérer l’estrogénothérapie de substitution comme une « tragédie nationale
et internationale », qu’elles n’hésitent pas à comparer à celle de la
thalidomide (Br Med J 2003 ; 327 : 767)…

[16Dans un essai nuancé
sur la politique de stérilisation non volontaire en Suisse romande, G.
Jeanmonod et J. Gasser font remarquer que quelque jugement moral que l’on
puisse porter sur la législation en vigueur, celle-ci s’est exercée en grande
majorité (80% ou plus) sur les femmes
(Aspects de l’histoire de l’eugénisme et de la stérilisation non volontaire en
Suisse romande au XXe siècle, in Ch. Bonah et coll (éd) : Nazisme, science et
médecine, Paris, éditions Glyphe, 2006 : 235- 57).

[17Aux Pays-Bas, 32% des femmes subiront une
hystérectomie au cours de leur vie (cité par Roovers JP et coll, Br Med J
2003 ; 327 : 774-777)

[18Dans le même
numéro de Gynécologie Pratique que celui accréditant que nombre
d’interventions sur cancer du sein tiennent plus de la maltraitance que de la
chirurgie (cf. note 14), deux autres auteurs (Sadoul G, Beuret T, p. 1, 5-6)
affirment sans rougir que « la fréquence du col normal oscille selon les
critères entre 2 et 15% ». Statistiquement, la « norme » étant en principe la
zone où se retrouvent 95% des sujets, on ne saurait admettre plus
effrontément que la médecine s’autorise sans complexe à rectifier la
féminité, puisque que 85 à 98% des femmes actuelles auraient ainsi un col
utérin… anormal ! Cela n’est pas un lapsus : dans la même revue, un autre
auteur (D. Benmoura. Gynécologie pratique, sept 2004 ; n° 167 : 7) n’hésite
pas à affirmer, avec la même inconscience statistique : « le col parfait est
rare ». On saurait dire plus explicitement qu’en matière de féminin, la « 
perfection » est rare : mais qui la définit ? Complément d’aveu s’il en était
encore besoin, dans cette revue qui est probablement la plus distribuée chez
les gynécologues français : dans le n° 196 de juin 2007, C. Quéreux admet
que « le col ‘idéal’ est rare ». On croyait savoir, de toute façon, qu’en
matière de féminin, « l’idéal » est rare – hélas …

[19Dans son ouvrage Sexe et amour au Moyen Age (Paris, Klincksieck,
2007), B. Ribémont relève qu’avant la médicalisation moderne, une tradition
qui remonte à l’Antiquité fait du corps féminin une énigme, et que nombres
d’ouvrages portant sur les questions gynécologiques évoquent le « secret »
dès leur titre (p. 134). Il insiste également sur l’intensité de la peur ou
l’inquiétude qu’inspire le corps féminin (pp. 137, 141, 143, 144). G. Duby
(La femme, l’amour et le chevalier, in Amour et sexualité
en Occident [ouvrage collectif], Paris, Seuil Points-Histoire, 1991)
confirme : « les attitudes masculines à l’égard de la femme paraissent, à
l’époque dont je parle [XIIe siècle], dominées moins par le désir que par la
peur » (p. 215). Dans le même ouvrage collectif, Françoise Thébaut,
considérant une période encore bien plus tardive, n’hésite pas à affirmer : « 
Le XIXe siècle a peur de la sexualité féminine (…) La peur de l’enfant doit
constituer pour la majorité un rempart. C’est un moyen de moralisation
sociale (…) Les hommes tiennent les femmes par la peur de l’enfant » (La peur
au ventre, ibid, p. 292-3).

[20Il n’est pas
très facile de dater avec précision cette « médicalisation » de
l’accouchement traditionnel. F. Lebrun (La vie conjugale sous l’Ancien
Régime, Paris, A. Colin, 1975, p. 112) cite un édit de 1692 visant au
renforcement de la formation des sages-femmes ; F. Gelis et coll. (Entrer
dans
la vie, Paris, Gallimard, 1978, p. 78) situent ce mouvement de reprise en
main « à partir de la seconde moitié du 17e siècle. »

[21Quoi
qu’il en soit quant aux premières velléités de contrôle, la mise en place
d’une obstétrique « académique » en dépit des résistances est un processus de
longue haleine : on retrouve l’écho très typé du souci médical quant à
l’accréditation des sages-femmes jusque sous la plume de G. Flaubert, fils et
frère de médecins, dans l’Education sentimentale. De même que pour celui
visant la contraception aux mineures (cf. plus bas), on peut s’interroger
aussi sur les racines culturelles du débat presque contemporain sur le « 
droit à l’avortement »

[22Pour JM
Constant, qui souligne par ailleurs l’influence des femmes dans la
revendication protestante (p. 146), « le protestantisme n’a pas été
seulement, au XVIe siècle, un séisme religieux, mais une véritable révolution
culturelle et politique » (Les Français pendant les guerre de religion,
Paris, Hachette, 2002, p. 144.)

[23Dans A. Jouanna et coll.
Histoire et Dictionnaire des guerres de religion, Paris, R. Laffont, 1998, p.
911-3, J. Boucher estime que « le XVIe siècle fut antiféministe », qu’il
réforma « certaines coutumes [qui] se montraient relativement favorables à un
statut égalitaire » et que « la femme avait
probablement le plus de liberté » dans les milieux « populaires » que dans les
milieux « moyens » (abstraction faite du statut fort spécial des femmes chez
les aristocrates de la haute société). L’auteur distingue en cette époque « 
une certaine crainte : celle de l’indépendance féminine risquant d’ébranler
les bases de la société ».


titre documents joints

La brutalisation du corps féminin...

18 mai 2009
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