Les limites des revues Cochrane

Dans le forum suivant une très soigneuse revue du Docteurdu16 consacrée au nouvel avis du Haut Comité de Santé publique en matière de vaccination contre la grippe, une intervenante (CMT) évoque à juste titre les limites des revues Cochrane.

Un autre intervenant (NP) croit bon d’évoquer ironiquement1 une obsession “complotiste” chez ceux qui entretiennent quelques doutes quant à la crédibilité des administrations sanitaires en matière de vaccinations.

Le texte ci-dessous reprend les deux posts que j’ai publiés sur ce forum.


CMT a parfaitement raison de souligner la dangereuse ambiguïté des revues Cochrane. De mémoire (et, j’espère, sans me vanter), j’ai dû être l’un des premiers, en 2009, à évoquer celles concernant les vaccins antigrippaux, en vue de contribuer à éteindre l’incendie médiatiquement entretenu autour de la « pandémie » et des remèdes qui s’imposaient ; mais les lecteurs attentifs (il y en a) ont pu remarquer que je ne l’ai fait qu’« avec des pincettes », sans jamais présenter ces revues comme un nec plus ultra : déjà bien avant et sur un tout autre sujet, j’avais eu l’occasion de mettre en garde la communauté médicale contre la méthodologie extrêmement problématique de certaines revues Cochrane, qui permettait leur récupération fort complaisante par certains fabricants2.

On comprend mieux le problème lorsqu’on entend Jefferson et ses collègues3 attendre 2012 pour découvrir la distance parfois considérable qui peut exister entre les données publiées – auxquelles ils ont toujours l’habitude de se référer – et les données sources4. Un parfait exemple de ce qu’il faut bien appeler cette naïveté est fourni par leur méta-analyse des études sur la neurotoxicité des vaccins contre l’hépatite B, qui intègre sans un mot de critique l’étude signée (sinon réalisée…) par Zipp et coll.5 dont les faiblesses (pour rester poli) étaient tellement évidentes qu’elles avaient justifié le rejet d’emblée par l’AFSSAPS6, laquelle n’était quand même pas un parangon de jansénisme méthodologique en matière de vaccination.

On notera en passant qu’après le tsunami de l’étude de Hernan et coll.7, de loin la plus crédible des investigations menées sur le sujet et qui montrait un triplement du risque neurologique – excusez du peu pour un traitement à visée préventive visant une maladie assez confidentielle jusqu’alors –, on vit cette étude de Zipp et coll. réapparaître comme par miracle dans tous les documents de l’administration qui traitaient du sujet. Dans sa réponse à un courrier où je m’indignais du fait, Marimbert8 ne trouva rien de mieux pour justifier ce scandaleux revirement que le fait que cette étude avait été « publiée » : la nullité de cette justification est encore renforcée par le fait que les documents de l’AFSAPPS réintégrant cette étude falsifiée (je pèse mes mots – et pourrais m’en justifier devant qui voudrait) incluaient également une étude de Costagliola et une autre d’Abenhaïm dont la particularité la plus évidente, outre leur nullité méthodologique, était qu’à l’opposé, celles-ci n’avaient pas été publiées (et que leur exploitation par l’Agence contrevenait du même coup aux Bonnes pratiques de pharmacovigilance qui posaient la publication d’une étude comme condition préalable à toute exploitation publique).

Dis-moi comment tu t’affranchis des règles que tu as toi-même arrêtées, et je te dirai qui tu es…

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Mon précédent commentaire est également une réponse – documentée par des faits facilement vérifiables – à l’ironie fort mal placée de NP9.

Toute personne tant soit peu au fait des vaccinations sait que ce sont généralement les mêmes administrations qui sont chargées d’élaborer des recommandations vaccinales, puis d’en évaluer rétrospectivement le bien-fondé (tant du point de vue de l’efficacité que de la tolérance). Il n’y a donc pas besoin d’être complotiste pour reconnaître dans cette situation le type même du conflit d’intérêts: une bonne part du scandale de la vaccination contre l’hépatite B en France tient à ce que la DGS a lancé une campagne de vaccination scolaire dans l’ignorance complète de l’enquête nationale de pharmacovigilance lancée trois mois auparavant par l’Agence du médicament (attendu que ce type d’enquête de PV représente quand même un signal d’alerte parmi les plus élevés). Pas besoin d’être très malin pour comprendre le conflit d’intérêts de l’administration sanitaire quand sont arrivées ensuite les premières notifications d’accidents (neurologiques ou non) chez les gamins vaccinés…

Je me permets de renvoyer à mes nombreux écrits sur les conflits d’intérêts pour souligner que leur mise au jour va donc bien au-delà de l’inventaire des chèques ou des enveloppes…

Cette situation objective de conflits avait même inspiré à deux parlementaires américains, voici quelques années, un projet de loi pour confier à une autre instance que le CDC la surveillance après-commercialisation des vaccins. À ma connaissance et pour des raisons que j’ignore, ce projet a fait long feu.

  1. Un message ultérieur m’indique que je n’avais pas compris “le second degré”. Mais hors de toute querelle de personne, les problèmes évoqués méritent d’être abordés, que ce soit au premier ou au second degré.
  2. Girard M. Meta-analysis on recombinant versus urinary follicle stimulating hormone. Human Reproduction 2000; 15: 1650-1651.
  3. BMJ 2012;344:d7898
  4. J’ai été un peu rapide. Le problème, avec les revues Cochrane, n’est pas tant le hiatus entre données publiées et données non publiées: car il faut reconnaître aux collaborateurs de l’institution leurs efforts pour surmonter le publication bias et se procurer des études non publiées.Soyons donc plus précis: le problème fondamental qu’ils semblent avoir totalement ignoré jusqu’à l’article susmentionné de Jefferson et coll (2012), c’est le hiatus (qui peut être considérable) entre les données sources et le rapport d’étude (qui peut bien sûr être aggravé par celui entre le rapport d’étude et la publication – quand elle existe).Bref et pour résumer, le problème que les collaborateurs de Cochrane semble avoir ignoré jusqu’à récemment, c’est le potentiel de falsification de certaines firmes: d’expérience, il peut être considérable.
  5. Nature Medicine 1999 ; 5 : 964-65.
  6. Mise à jour de février 2000.
  7. Neurology 2004 ; 63 : 838-42
  8. Alors Directeur général de l’AFSSAPS.
  9. L’intéressé m’a signalé ultérieurement qu’il fallait prendre cette ironie au second degré: dont acte.