Lettre d’une consœur sur le coronavirus : « j’ai du mal à adhérer au raisonnement de Gøtzsche »

Une consœur expérimentée m’adresse le courrier suivant :

Je viens de lire votre dernier article du 30/03/2020 et ai du mal à adhérer au raisonnement de Peter G[øtzsche] de comparer ce virus à celui de la grippe.

En effet, à ce jour et parce que nous n’avons pas testé à grande échelle, les résultats des tests nous montrent que le % de personnes immunisées en France serait autour de 12%. On parle des formes asymptomatiques mais on ne connaît pas la proportion.

Ce qui est observable et qui diffère de la grippe c’est le passage en forme grave par un emballement du système immunitaire et altération du parenchyme pulmonaire à cause de protéines de l’inflammation. Ceci peut concerner tout le monde avec ou sans facteur de comorbidité connu. La question qui reste à élucider: quels sont les facteurs prédictifs d’un passage en forme sévère? Il semble plus logique de chercher du côté du terrain immunitaire et du type de réponse.

Ce virus à ARN circule sous deux formes, la forme prédominante à Wuhan se révèle moins contagieuse et moins dangereuse (celle du Diamond Princess) que celle qui circule actuellement en Europe ce qui pourrait expliquer les taux de létalité retrouvés en Italie et en Espagne.

(…) Des retours de prise en charge de patients avant les mesures très élevées de protection en salle de bloc opératoire opérés pour des interventions réglées et patients non connus comme porteurs de cov 19 mettent en évidence une contamination massive de tous les personnels du bloc opératoire! et pour un patient covid 19 ayant subi une trachéotomie : 10 personnes de l’environnement médical direct contaminées!

Il faut diagnostiquer tout le monde en vue de pouvoir sortir rapidement du confinement mais aussi trouver les facteurs d’un passage en forme sévère.

Il y a du boulot sur la planche.

Ma réponse

Il ne m’a pas semblé que le raisonnement de Peter Gøtzsche soit de « comparer » le coronavirus et la grippe : il est d’affirmer que i) aucune donnée épidémiologique sérieuse ne justifie la brutalité des mesures prises, ii) quand bien même la situation sanitaire serait sérieuse, tout porte à penser que lesdites mesures seraient inefficaces, voire contre-productives. C’est exactement ce que je pense, et depuis le tout début.

Chacun ensuite y va de son anecdote spectaculaire pour attiser le feu, bien qu’elle manque de la moindre donnée observationnelle solide.

  • Je veux bien que tout un bloc soit contaminé d’un seul coup, mais ça me paraît tristement révélateur quant aux procédures d’asepsie en vigueur dans le bloc en question : s’il est avéré, le cas que vous me racontez en dit plus sur le délabrement de notre système hospitalier (accessoirement : sur les procédures d’hygiène chez nos confrères français – vaste problème qui ne date pas d’hier) que sur quoi que ce soit du coronavirus ;
  • J’attends que le personnel médical, au lieu de souffler sur les braises, se révolte contre le rôle de kapo qu’on lui fait jouer pour justifier la dictature1 : à l’heure actuelle, aucun des cas de contamination qu’on m’a rapportés n’a fait l’objet d’un test, le diagnostic ayant été posé par téléconsultation, sur une sémiologie d’une banalité à pleurer (fièvre, toux, fatigue…), par des professionnels de santé comme vous et moi qui n’ont aucune expérience clinique personnelle de cette maladie aussi ordinaire dans ses symptômes avérés qu’apocalyptique dans sa significativité potentielle2, 3. La démence d’un tel mode de recensement se déduit de l’aberration des chiffres (plus de morts en France qu’aux États-Unis pourtant 5 fois plus peuplés et censément à l’épicentre de la pandémie) : on crée vite des pandémies-du-siècle à « raisonner » (si on peut dire) comme ça.

Au total, « ce qui pourrait expliquer les taux de létalité retrouvés en Italie et en Espagne », c’est l’accouplement de l’incompétence et du cynisme chez ceux qui les ont calculés. Et comme on annonce une pénurie mondiale de préservatifs4, je suis d’accord avec vous qu’il va y avoir « du boulot sur la planche »…

  1. Globalement, la dynamique est très classique, et toujours la même : ils ne savent rien (ou quasiment), mais ça leur suffit pour assurer leur domination sur ceux qui ont besoin de croire.
  2. On avait déjà vu exactement ça avec le H1N1 : cf. mon livre, pp. 20-21.
  3. Je n’ai pas besoin d’insister sur la réciproque qui permet au processus de s’emballer: dans la Culture du narcissisme, innombrables sont les gens qui se trouvent valorisés de se prétendre atteints par une maladie censément gravissime (une fièvre avec toux et fatigue…) de nature à attirer l’attention même temporaires de leurs contemporains. En principe confidentielle, la consultation téléphonique se change vite en bulletin d’information à l’usage de tous les confinés qui s’emmerdent…
  4. Majoritairement fabriqués en Malaisie (Le Parisien, 30/03/20).