A – « A aucun moment, nous n’avons ressenti ironie ou moquerie… »

Pour faciliter leur repérage, je me suis finalement résolu à numéroter les 19 articles de cette série intitulée Quand les victimes racontent leur expertise, afin que la chronologie respective de leur rédaction (et donc de leur référencement mutuel) apparaisse clairement.


“Je soussigné A. Antoine, né le **/**/56, à ***, demeurant ***, profession : magasinier, certifie l’exactitude des faits ci-après, auxquels j’ai assisté, ou que j’ai personnellement constatés.

Lors de mon entretien avec le docteur Girard concernant les causes de la maladie de notre fille Jeanne , nous avons rencontré un homme qui a su nous écouter et comprendre toute l’émotion que nous pouvions ressentir lors de l’évocation de ces faits.

Il a su nous expliquer dans des termes compréhensibles l’expertise pour laquelle il était mandaté.

A aucun moment nous n’avons ressenti ironie ou moquerie de sa part lors de l’évocation des faits très douloureux.

Il nous a posé des questions pertinentes, en particulier celle concernant l’autopsie de notre fille qui n’a jamais été envisagée après son décès. Aujourd’hui nous saurions peut-être exactement de quoi et comment notre fille Jeanne est décédée le **-**-1997.

Cette attestation est établie en vue de sa production en justice et je suis informé qu’une fausse déclaration de ma part m’expose à des sanctions pénales.

Fait à B***, le 08 janvier 2006

Antoine A.”

Environ une semaine après la troisième injection d’une vaccination contre l’hépatite B, Jeanne A., alors âgée de 11 ans, avait présenté les premiers symptômes cutanés (des « bleus ») de ce qui s’était rapidement révélé être une aplasie médullaire grave – c’est-à-dire la destruction des principales cellules sanguines (globules rouges, globules blancs, plaquettes).

La sévérité persistante du tableau avait justifié une greffe de moelle, à partir d’un donneur non apparenté, quatre mois après le début des troubles, dans un grand Service parisien. Un peu plus d’un mois après, alors que l’enfant avait été ramenée chez elle, les signes initialement négligés d’une maladie du greffon contre l’hôte étaient devenus patents : l’inefficacité du traitement mis en œuvre avait imposé le retour de l’enfant à Paris. En dépit des soins intensifs qui lui avaient été prodigués là bas, elle était morte en quelques semaines, soit environ 8 mois après l’injection vaccinale incriminée.

Les auteurs du précédent rapport d’expertise, dont faisait partie le Prof. Z qui sera à plusieurs reprises nommément pris à partie dans les attestations du présent corpus, avaient prétendu que le projet de déménagement de l’enfant en zone d’endémie (Afrique occidentale) représentait une « double justification médicale » de la vaccination : la justification de la vaccination en France allait manifestement de soi à leurs yeux (“double”) et, quoique leur collège comportât un éminent infectiologue – depuis régulièrement consulté par les médias sur le risque de grippe aviaire (puis sur l’intérêt de n’importe quelle obligation vaccinale) – ils semblaient ignorer que les modalités de contamination en zone de forte endémie (transmission mère-enfant) n’ont rien à voir avec celles des zones de moindre endémie, de telle sorte qu’il restait à démontrer qu’elles concernaient en quelque façon la petite Jeanne. Le reste du rapport était à l’avenant, dissertation catégorique et prétentieuse confondant allègrement outil « épidémiologique » et méthode « statistique » alors qu’à l’évidence, aucun des auteurs ne maîtrisait même les concepts les plus élémentaires de ces spécialités, notamment celui, crucial en l’espèce, de « puissance statistique »1.

Les experts précédents avaient également omis de remarquer que la lettre de transfert de l’enfant vers l’hôpital parisien où elle est décédée correspondait à une date d’un an postérieure au décès, mais exactement contemporaine du jour de saisie sur commission rogatoire du juge… Enfin, après avoir documenté au moins un certain nombre des nombreux manquements dans la prise en charge post-greffe de la petite (notamment un retour en province malgré les signes convergents d’un début de maladie du greffon), les experts s’autorisaient néanmoins à conclure : « il n’y a pas eu d’imprudence et de négligence ».

Il n’est donc pas besoin d’entrer dans le détail d’une critique démesurée pour apercevoir d’emblée les caractéristiques typiques d’une expertise judiciaire telle que réalisée sous la garantie d’un collège de trois experts, dont certains dotés d’une notoriété certaine.

  • Confronté à un drame humain d’une telle ampleur, le collège expertal n’a pas éprouvé le besoin de recevoir les parents, se contentant d’opérer une expertise sur pièces.
  • Par rapport à un problème qui relève fondamentalement du technico-réglementaire pharmaceutique et de la pharmaco-épidémiologie (application des méthodes de l’épidémiologie à l’évaluation des effets médicamenteux), aucun des trois experts consultés n’avait la moindre maîtrise des concepts fondamentaux relatifs à l’espèce.
  • Alors que la cruauté de ne pas recevoir les parents – ne serait-ce que pour vérifier que toutes les informations pertinentes ont bien été prises en considération – pourrait, à l’extrême rigueur, se justifier dans une conception technicienne hyper-scrupuleuse de l’expertise (des faits, rien que des faits), les experts se sont montrés incapables de relever les contradictions factuelles les plus manifestes et les plus objectives (erreurs de dates) du dossier médical.
  • Impuissants, cependant, à dissimuler les failles les plus criantes de la prise en charge au moins clinique, les experts n’en ont pas pour autant été gênés de conclure sur un jugement strictement irréductible à leurs observations antérieures : « il n’y a pas eu d’imprudence et de négligence ».

Manque d’humanité et mépris du contradictoire, compétence problématique, inconscience quant aux exigences « policières » de la vérification dans le cadre d’une expertise judiciaire centrée sur l’inventaire des faits, connivence corporatiste : il n’en faut pas plus, même chez un non professionnel, pour se sentir bafoué, humilié, écrasé – et pour porter aux nues celui qui, par contraste, a su « écouter et comprendre », expliquer la situation « dans des termes compréhensibles », poser « des questions pertinentes  » et, par dessus tout, s’abstenir de toute « ironie » ou « moquerie »2

  1. Au cours d’une émission publique, je retrouverais un jour comme contradicteur l’un des auteurs de ce pré-rapport, le mettant facilement en échec sur cette question pourtant fondamentale, avant de le conduire à avouer froidement, sans le moindre conscience décelable quant à l’incongruité du propos : « je ne connais pas les chiffres, mais je sais qu’ils ne sont pas significatifs »…
  2. Dans l’attestation d’Antoine A., on notera le subtil balancement entre le terme « compréhensible » et celui de « pertinent », a priori contradictoires : si la victime a besoin qu’on lui explique (« compréhensible »), de quel droit s’autoriserait-t-elle à juger la « pertinence » des questions qui lui sont posées ? En fait, nous sommes là au cœur du drame humain qui conduit une victime à la plainte : la conviction d’avoir été trompée (on ne lui a pas fait comprendre des éléments pourtant essentiels à sa représentation du problème) tandis qu’elle n’a jamais eu le sentiment d’être écoutée lorsqu’elle avait quelque chose de pertinent à dire.