Le débat sur la transparence des essais cliniques

A l’incitation d’une lectrice, je suis intervenu récemment sur le site de Michel de Lorgeril, dans un forum consacré à la transparence des essais cliniques.

Le responsable du site ayant eu l’amabilité de qualifier cette intervention de “magnifique” tout en souhaitant qu’elle reste “dans les Annales”, je me permets d’y renvoyer mes lecteurs ici, et d’en donner ci-dessous la transcription.


Bonsoir,

Naturellement peu assidu des forums, j’interviens ici avec retard, ayant été alerté par des voisins 🙂 qui savent les liens d’amitié que j’entretiens avec deux des protagonistes de celui-ci, l’excellent Michel d’une part, et le non moins excellent Docteurdu16.

Ne serait-ce que sur la base des exemples tirés d’une expérience de trente ans qui est allée de la conception des protocoles à la rédaction de publications terminales, en passant par l’analyse des données (de pharmacovigilance, notamment), la rédaction des rapports d’étude ou l’audit rétrospectif dans le cadre de missions judiciaires, je pourrais écrire des centaines de pages sur la thématique de la présente discussion. Je vais me contenter d’aller rapidement à l’essentiel.

En abordant le problème des données brutes, Michel m’a devancé car cela faisait un bout de temps que je me proposais de critiquer la fausse bonne idée (d’ailleurs fort ancienne) des bases de données prétendument accessibles à tous. On met ce qu’on veut dans une base informatique, depuis les morts rebaptisés en « perdus de vue » (ce qui est effectivement une façon de voir les choses…) aux effets indésirables graves « imputables au placebo » (mais oui !) : pour se recentrer sur les statines, que dire de ces patients (voire : de ces volontaires sains) sub-claquants avec des CPK à 15 000 ou plus codées « élévation enzymatique », « douleurs musculaires », voire « trouble de la fonction rénale » (ce qui est une autre façon de voir les choses) – bref de toutes ces manipulations qui permettent de conclure un développement catastrophique d’emblée en soutenant sans rire (et sans faire rire les autorités) qu’il y a eu MOINS de rhabdomyolyses sous produit actif que sous placebo ?… Au passage, ce type d’expérience permet de remettre à une plus juste place les sacro-saintes revues Cochrane dont les plus éminents représentants n’ont appris que récemment la distance qui pouvait séparer une publication du rapport qui la sous-tend (BMJ 2012;344:d7898) : il leur reste à découvrir l’abime entre le rapport d’étude et les données brutes en leurs divers états chronologiques… De son côté, le Docteurdu16 n’a pas tort de remarquer que sur la seule base du protocole, on peut parfois pressentir l’escroquerie : mais d’amendements plus ou moins discrets en codages plus ou moins pervers, le meilleur des protocoles peut conduire aux pires fraudes. C’est bien à chaque étape d’une étude, de son analyse et de sa rédaction que peut s’introduire la tromperie. La « criminalité » pharmaceutique, en fait, c’est l’effrayante capacité des lobbies qui dirigent désormais le monde du médicament à pervertir – et systématiquement – TOUTES les innovations méthodologiques qui auraient dû permettre à la recherche clinique de sortir du sempiternel « croyez-en mon expérience » : la randomisation, le double aveugle, le placebo, les tests statistiques, l’intention de traitement, les méta-analyses, l’evidence-based medicine, etc.

L’autre question abordée dans l’échange entre mes deux amis tient aux approximations auxquelles on peut consentir dans la communication avec le public profane. On n’y a pas assez insisté : la méthodologie de la recherche clinique est extrêmement spécifique, elle échappe même souvent aux scientifiques dotés d’une compétence, voire d’une notoriété indubitables dans les spécialités plus « classiques » (fondées sur le modèle physico-mathématique). Bref, l’épistémologie de la recherche clinique reste à écrire. Dès lors, comment faire pour communiquer hors du cercle très étroit des pairs ? La moindre simplification, la moindre occultation d’une question qu’on a jugée (à tort ou à raison) trop complexe pour l’horizon d’attente du non spécialiste peut vite vous revenir comme une intolérable torsion de « l’évidence »… Qu’y faire ? Personnellement, j’ai fait le choix de m’adresser simultanément aux spécialistes comme aux profanes, moyennant une rhétorique de « redondance didactique » : je parle aux confrères de la même façon que je le ferais dans une publication scientifique, tout en reformulant à l’usage des profanes les points cruciaux via, par exemple, une métaphore plus ou moins humoristique – de telle sorte que toute personne me lisant linéairement doit parvenir à saisir l’essentiel de ce qui est dit, quitte à passer rapidement sur certains développements plus ardus destinés à une petite minorité de lecteurs. Mais il n’y a pas de règle générale et le parti-pris que j’ai choisi m’a souvent valu le reproche d’obscurité – sans doute au détriment de mes chiffres de vente… Toutes ces questions de présentation, qui relèvent d’inclinaisons personnelles, ne doivent pas occulter le vrai problème, à savoir que quelle que soit la valeur – ou l’intérêt – de vos écrits (qu’ils soient destinés au grand public ou aux spécialistes), pour chaque item publié, les lobbies parviendront à le noyer dans des dizaines d’autres commandités, parfois de façon très contournée et perverse (ce que j’appelle « la propagande ») : j’ai lu récemment un article sur la psychologie de la misère où l’auteur, sans doute de parfaite bonne foi, soutenait qu’un stigmate du déclassement, c’est de ne pas adhérer aux programmes de prévention et de dépistage…

Du cholestérol, par exemple et sans doute ?…