Les perles de la presse et de ses amis

Depuis que la série des Perles s’est imposée à l’automne 2009 en réaction à l’impressionnant délire d’une “pandémie” crédibilisée par tous les grands médias opérant la main dans la main avec tous les politiques – Mélenchon en tête, qui jugeait avec son habituelle fatuité qu’on aurait dû “faire d’abord la campagne et discuter ensuite”1 , le même problème se repose à chaque début d’année: à quoi bon continuer ?


Les plus fidèles de mes lecteurs – qui ne sont pas nécessairement ceux qui ont fait le plus d’études scolaires ou universitaires2 – ont certainement noté une inflexion au cours des derniers mois: les Perles s’aventurent de plus en plus hors des chemins strictement médicaux qui relèvent de ma compétence éprouvée. C’est que le genre est à la croisée des deux inspirations qui justifient l’existence du présent site:

  1. défense et illustration de “l’expertise honnête” (laquelle, stricto sensu, ne légitime mes interventions publiques que sur le sous-ensemble extrêmement mince des questions sur lesquelles je crois disposer d’une expertise documentable),
  2. plaidoyer ardent en faveur d’un contrôle citoyen de l’expertise – lequel m’autorise à m’aventurer hors du champ naturel de ma compétence pour autant que je m’en tienne à des “critères intrinsèques de crédibilité” partageables avec le plus profane de mes lecteurs.

Car le danger le plus patent de la première inspiration – n’intervenir dans le débat public qu’au nom d’une expertise objective, mais terriblement étroite – ce serait d’éclater l’opposition au système en une foultitude de critiques certes ravageantes par leur pertinence individuelle, mais d’ampleur dérisoire3: dans sa massivité aussi effrayante qu’amorphe, Big Brother n’a pas grand chose à craindre des bombes à fragmentation, sachant de plus que dans l’improbable cas où l’une viendrait à lui faire vraiment mal, on pourrait justement compter sur les médias pour détourner l’attention le temps qu’il cicatrise4. Tout en affûtant les armes de la critique experte, il convient donc d’organiser une autre forme de lutte, plus globale quoique moins acérée: une critique “citoyenne” consistant non pas à crédibiliser toute forme de contre-expertise (si indigente fût-elle) sous le vague prétexte que l’expertise officielle serait indigne5, mais à faire que tout un chacun soit en mesure de dénoncer l’imposture de cette expertise officielle sur des critères intrinsèques à la portée du plus profane6.

Or, quoi de plus “intrinsèque” que le ridicule de nos médias d’une part, leur connivence objective avec les politiques d’autre part, leur désespérante obstination dans l’erreur enfin. Même si l’ouvrage a certainement fait l’objet d’une injuste censure sanctionnant l’échantillonnage de ses exemples, la démythification des fausses idoles (telles que le prix Albert Londres ou Le Canard Enchaîné) ainsi que ses accablantes comparaisons à la presse étrangère, on reste néanmoins consterné par la superficialité d’un livre comme Bévues de presse7 tant au niveau du diagnostic8 que des causes censément identifiées 9 ou des remèdes proposés10.

On s’entendra néanmoins avec l’auteur de cet ouvrage sur le constat d’une médiocrité médiatique spécifiquement franco-française: car même si les Anglo-Saxons, par exemple, n’ont rien à nous envier avec leur presse de caniveau et que l’Italie de Berlusconi, autre exemple, n’aurait aucune leçon à recevoir en matière de journalisme à la botte, ce qui frappe le plus, dans notre pays, c’est la consternante absence d’alternative: pour autant que la médicalisation soit concernée, par exemple, il n’y a pas de différence palpable entre Le Figaro et Le Monde diplomatique11. Pas de différence palpable, non plus, quant à la place – ridicule – laissée par les deux journaux au courrier des lecteurs (et il suffit, là encore, de se tourner vers certaine presse anglo-saxonne pour prendre la mesure du problème). Pas de différence, toujours, quant à l’éthique des liens d’intérêts12. Pas de différence, enfin, quant à la politique – excessivement sélective – de choix des intervenants extérieurs13.

Malgré cette nullité patente et constamment dénoncée, la presse française reste d’une redoutable efficacité: c’est bien elle qui a convaincu nos concitoyens quant aux vertus du néo-libéralisme 14, c’est bien elle qui rend compte de leur résignation devant les contraintes présumées de la mondialisation ou du “déficit”, c’est elle, encore, qui a réussi à accréditer qu’au sortir du traumatisme démocratique généré par un traité européen obtenu au rigoureux mépris du suffrage universel, il faudrait tenir pour une avancée démocratique remarquable l’exercice honteux des “primaires socialistes” – dont on comprend qu’il permet à n’importe quel électeur d’extrême-droite de peser sur le choix du représentant de la gôche… C’est bien elle, aussi, qui – là encore en constante connivence avec les politiques – exerce son formidable pouvoir de désamorçage et de démoralisation en cristallisant toute contestation du système sur les gesticulations de quelques bouffons anodins soigneusement sélectionnés pour leur vacuité15:

  • tel journaliste parfaitement bien en Cour qui s’obstine – au mépris de toute déontologie renforcé par une certitude d’impunité – à ne pas recevoir telle personnalité d’opposition dont la diabolisation trop convenue permet d’esquiver toute question tant soit peu profonde sur les douteuses connivences de la presse et des politiques,
  • tel universitaire fils de son père (comme la plupart de ses semblables à la Faculté de médecine), immunisé à vie contre la limite d’âge et qui ne cesse de dénoncer les tares d’un système dont il a outrageusement profité,
  • telle pneumologue hospitalière manifestement bien adaptée à une organisation fondamentalement clanique et qui – sous des vivats paradoxalement unanimes – prétend, elle aussi, ramener les tares honteuses de notre système sanitaire (auxquelles elle n’a manifestement jamais sérieusement réfléchi) aux seules défaillances d’un seul dirigeant d’entreprise,
  • tel parlementaire en mal de notoriété passé maître dans l’art du jeu pervers consistant à organiser entre journalistes complaisants une compétition de fausses confidences pour autant qu’elles lui reviennent estampillées par l’amplification médiatique normalement due aux scoops, fussent-ils foireux16

Nonobstant cette redoutable efficacité dans la fabrication d’une pseudo-autorité fondée sur l’artifice d’une célébrité frelatée, des précédents existent attestant qu’il est possible de renvoyer cette presse à sa vacuité et de démasquer ses mystifications:

  • la prodigieuse – et éminemment démocratique – victoire du “non” lors du référendum sur la constitution européenne malgré l’impressionnante unanimité contraire de tous les grands médias et de tous les leaders politiques ;
  • la ridiculisation absolue des autorités sanitaires, politiques et expertales lors de la “pandémie” porcine17.

Il se pourrait que relativement à une profession sinistrée (comme bien d’autres) par une formation essentiellement indigente, rappeler le primat de la cohérence diachronique (ne pas oublier ce qu’on a dit naguère18) et synchronique (ne pas dire tout et son contraire), insister sur le devoir d’inventaire et, plus encore, de hiérarchisation des sources, tout en plaidant pour un minimum de distance ironique – tout cela corresponde, au fond, à une élémentaire leçon… de journalisme.

Même si je suis loin de le tenir pour un maître à penser, qu’il me soit permis, pour finir – et introduire cette nouvelle série – de citer Bourdieu, justement à propos de la presse19:

“[Il faudrait] peut-être une tribune des critiques du journalisme, toutes les semaines, avec de l’analyse, et des gens capables de transformer l’analyse en arme symbolique, en quelque chose d’un peu rigolo. Il faudrait qu’un certain nombre de fautes professionnelles soient justiciables d’une sanction spécifique, la meilleure étant le ridicule” (c’est moi qui souligne).

On y travaille…

Document joint

  1. Sans que, à ma connaissance du moins, il n’éprouve ensuite le moindre besoin d’auto-critique – ce qui n’est pas particulièrement rassurant relativement à son leadership: il n’y a plus qu’en Corée du Nord que les Leaders ne se trompent jamais…
  2. L’Evangile distinguait déjà “les pauvres en esprit”, qui vont rapidement à l’essentiel, des “sages” et des “savants”, dont l’intelligence se pétrifie à mesure qu’il s’agit d’appréhender les choses sans détour…
  3. Ce serait donc aller à contre-courant du projet qui inspire mon engagement public, à savoir contribuer à fédérer l’indignation des gens en une opposition structurée.
  4. N’est-ce pas précisément ce que, grâce notamment à l’affaire Servier (merci Gérard et les autres…), on a vu quand la supercherie H1N1 s’est trouvée démasquée? Au lieu d’aller au bout du constat et d’en tirer toutes les conséquences, on s’est soudain détourné sur l’arbre Servier pour ne pas voir la forêt qui avait permis le scandale de la grippe porcine, d’un ampleur et d’une portée sans aucune commune mesure avec Médiator.
  5. Et que, pour paraphraser Pierre Dac, un contre-expert indigne ne serait pas plus indigne que les experts qui ne sont pas plus dignes que lui…
  6. L’exemple à mon avis le plus frappant de cette réappropriation citoyenne étant le moment (France Soir, 26/08/09) où, alors que les arcanes du développement pharmaceutique échappaient encore au plus grand nombre (à commencer par les médecins ou les magistrats), il a suffi d’expliquer les contraintes temporelles évidentes d’un tel développement pour que quasiment n’importe qui comprenne que prétendre développer un nouveau médicament (tel que le vaccin anti-H1N1) en deux mois ou moins relevait d’une escroquerie caractérisée.
  7. Jean-Pierre Tailleur, Bévues de presse. L’Information aux yeux bandés, Paris, Editions du Félin, 2002.
  8. Les hommages de principe (par exemple à l’égard du Monde), se mêlant à des impulsions argumentées de dénonciation, sans qu’il soit jamais possible de comprendre comment un journal ainsi présumé respectable peut aussi facilement basculer dans la nullité.
  9. On peine à croire que le nombre de personnes interrogées soit un critère crédible pour la qualité d’un reportage, alors que l’on attend en vain une analyse tant soit peu critique de la formation distribuée aux journalistes.
  10. Dont la faiblesse ressort, entre autres exemples, de l’incohérence de l’auteur relativement à l’exigence d’anonymisation des sources.
  11. Quand encore on n’a pas l’impression que le journal de Dassault est plus avancé dans la critique que les groupies de Fidel Castro dont les lecteurs exclusifs seraient les seuls Humains à ignorer que loin d’être un expert crédible, le Prof. Osterhaus est la caricature de l’universitaire dévoyé au service des lobbies; et que, plus grave encore au regard des principes éthiques exhibés par le Diplo, ce journal n’a même pas l’élégance de rectifier d’aussi grossières erreurs une fois qu’il en a été averti.
  12. Quand a-t-on vu un professionnel de santé intervenant dans Le Monde diplomatique satisfaire aux exigences pourtant contraignantes de l’art. L.4113-13 du Code de la santé publique?
  13. Sélectivité où, dans un domaine plus spécialisé, la revue Prescrire – bien que ne se trompant “jamais” – ne se distingue pas clairement du Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire – qui a fait le choix pourtant inverse de dire assez souvent n’importe quoi…
  14. Au point que le candidat du “changement” aux prochaines présidentielles peut afficher sans rire – ou sans pleurer – sa dévotion à la mémoire du président “socialiste” qui, avec un parfait cynisme, nous a imposé ce régime à marches forcées.
  15. Dans son petit ouvrage Culture de masse ou culture populaire? (Castelnau-Le-Lez, 2001: pp. 55-63), Christopher Lasch a magistralement analysé ce pouvoir des médias de substituer à une autorité authentique “une forme nouvelle de pseudoautorité s’appuyant sur la célébrité”, cette célébrité ayant elle-même été créée de toutes pièces et imposée par ces mêmes médias: c’est bien le mécanisme qui a présidé à la médiatisation du petit Poucet, qu’on n’a jamais entendu proférer la moindre incongruité de nature à effectivement ébranler le système qu’il prétend dénoncer. Manque cruellement à tous ces pseudo censeurs du système le souvenir d’une vieille maxime d’Auguste Bebel, pourtant toujours aussi actuelle: “Quand l’ennemi de classe accepte de me médiatiser, je me demande toujours quelle bourde j’ai pu commettre” (cité par JC Michéa, La double pensée, Paris, Flammarion, 2008, p. 168.). Depuis plus d’un an, le présent site n’a cessé d’inventorier “les bourdes” (s’il n’y en avait eu qu’une…) commises par les chevaliers blanc-Persil de la moralisation pharmaceutique, et qui justifient leur extravagante médiatisation.
  16. A cause de son pouvoir quasi universel d’attraction sur les foules, le judiciaire offre sans doute les plus voyants exemples de cette propension journalistique à créer des héros de papier – qu’il s’agisse de juges “implacables” qui plantent lamentablement toutes les affaires qui leur sont confiées, d’avocats nullissimes sortis d’on ne sait où et présentés comme les instigateurs intrépides d’actions où ils sont juste arrivés les derniers ou qu’ils se sont d’emblée appropriées via des réseaux douteux mais que, de toute façon, ils enverront dans le mur dès qu’il s’agira de faire du droit, de “présidents” auto-proclamés d’associations manipulées, surtout soucieux d’acquérir une lueur de renommée au terme d’une existence atrocement médiocre, et d’arrondir par tous les moyens les fins de mois pourtant méritées de leurs insignifiants antécédents…
  17. Pour autant qu’il me soit permis de revendiquer un leadership dans cette ridiculisation, il est utile de rappeler que j’ai toujours affiché et assumé ma parfaite incompétence tant en matière de grippe que de vaccination: ma critique s’est constamment ancrée sur l’impératif d’un simple contrôle citoyen – et, dans leur empressement glouton à satisfaire leurs maîtres, les “experts” qu’il s’agissait de contrôler étaient tellement grotesques qu’il n’était pas bien difficile de les contrer.
  18. Qui a remarqué, par exemple, que lors de la guerre américaine en Irak, ceux qui reprochaient à Bush Jr. d’avoir envahi le pays de Saddam étaient peu ou prou les mêmes que ceux qui, dix ans auparavant, reprochaient non moins amèrement à son père d’avoir refusé de franchir le pas lors de la guerre au Koweït?
  19. J.P. Tailleur, op. cit., p.125.