MEDIATOR : à qui profite le scandale ?

Un post-scriptum de l’été 2016 permet de remettre dans l’actualité cet article du 22/11/2010 – et d’en mesurer rétrospectivement le bien-fondé..

L’hystérie médiatique qui entoure actuellement l’affaire Mediator ne laisse pas d’étonner.

Certes, il faut se réjouir à chaque fois qu’un médicament toxique et d’efficacité problématique se trouve retiré du marché. Mais que représente cette histoire minuscule par rapport aux problèmes iatrogènes et économiques sans commune mesure posés par d’innombrables médicaments qui, non seulement restent sur le marché, mais sont parfois largement promus par les autorités sanitaires, l’assurance maladie – parfois même avec la participation enthousiaste de l’intouchable Revue Prescrire?

Que représente cette affaire telle que désormais racontée dans un livre désespérant de mièvreries et de platitudes, qui décontextualise l’essentiel dans un océan d’anecdotes dépourvues du moindre intérêt (sur les goûts de l’auteur en matière de boissons, l’apparence physique de ses confrères ou ses soucis domestiques au quotidien) et d’idées reçues (sur la Revue Prescrire, comme par hasard), quand l’auteur ne franchit pas allègrement les bornes de la falsification: il en va ainsi lorsqu’elle ignore les responsabilités pourtant documentables des divers acteurs qu’elle s’honore d’avoir rencontrés, ou lorsqu’elle reprend à son compte une version strictement fantaisiste de l’affaire Isoméride qui donne aux autorités françaises le beau rôle par contraste avec les autorités américaines 1.

Or, que se passe-t-il en France pendant que, sur son petit nuage d’inconscience nombriliste, l’auteur de cet ouvrage dépourvu du moindre intérêt nous explique que Xavier Bertrand est un “homme honnête” sans se demander qui va payer les mesures de surveillance recommandées par icelui, ni faire le moindre effort de mémoire pour se rappeler quelles étaient ses fonctions entre 2004 et 2007?

Que se passe-t-il en France? Juste un exemple – parmi des dizaines d’autres envisageables.

Une épidémie foudroyante

La sclérose en plaques (SEP) est l’une des rares pathologies pour lesquelles, en France, on dispose depuis longtemps de données épidémiologiques assez précises. Avec une prévalence naguère estimée selon les études entre 25 2 et 40 34

pour 100 000, on peut considérer qu’au tout début de la décennie 1990, le nombre total de SEP en France ne dépassait pas 25 000. Ces données épidémiologiques se recoupent avec l’expérience de nombreux professionnels de santé (médecins, pharmaciens, infirmières) qui conviennent qu’à cette époque, ils n’avaient jamais vu de sclérosé en plaques.

Or, dix ans plus tard, les mêmes sources 5 font état d’une prévalence (« environ 100 pour 100 000 ») plus que doublée. Commandité par la DGS en 2006, le Livre Blanc de la SEP propose une fourchette entre 63 608 et 84 623. Depuis lors, toutes les sources disponibles (revues médicales, associations de patients…) font état d’estimations aux alentours de 80 000, et qui vont même parfois jusqu’à 90 000. Ces données épidémiologiques sont cohérentes avec les données affections de longue durée (ALD) de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) lesquelles se limitent au SEP « sévères » et qui montrent une nette augmentation ; elles se recoupent également avec l’expérience commune, la plupart des gens (même en dehors des professions de santé) connaissant aujourd’hui des sclérosés en plaques dans leur entourage.

Or, selon L. Abenhaim, directeur de la DGS au moment du Livre blanc, « la littérature internationale ne suggèr[e] aucune variation temporelle majeure de la fréquence de la SEP » 6. Pour foudroyante qu’elle soit ainsi, l’augmentation observée en France est donc surprenante – et il est d’usage, en épidémiologie, de rechercher l’irruption d’un facteur exogène dans une situation aussi inopinée (surtout d’une telle gravité sanitaire).

Une épidémie inexpliquée

Restées d’abord silencieuses sur cette augmentation, les autorités sanitaires françaises ont usé de deux arguments à partir de février 2002 :

  • l’augmentation des chiffres de la CNAM viendrait de la mise à disposition de médicaments chers comme l’interféron, qui aurait contraint les patients à solliciter plus souvent leur prise en charge en ALD ;
  • l’augmentation globale serait un artefact de détection dû à l’amélioration des moyens diagnostics.

Ces tentatives d’explication ne résistent pas à l’examen.

Les données de la CNAM

  • Les données annuelles de la CNAM permettent de dater le décrochage des prises en charge ALD à partir de 1994 (concernant forcément des SEP déclenchées avant) alors que les interférons ne seront pas disponibles avant la fin 1996.
  • Il est facile de reconstituer que, comme attendu, les SEP étaient quasi systématiquement prises en charge au titre de l’ALD jusqu’au début des années 1990 ; or, dans une étude datée de 2003 , la CNAM estime à environ un tiers des patients atteints de SEP ceux qui ne bénéficient pas d’une prise en charge ALD7. Par conséquent et toutes choses égales par ailleurs, la proportion des patients pris en charge pour une SEP sévère au titre de l’ALD a diminué et non pas augmenté depuis la mise sur le marché des interférons : si la prévalence de base était restée inchangée, on aurait donc dû observer une réduction des prises en charge ALD, et pas une augmentation.

L’amélioration du diagnostic

  • On ne sache pas que, depuis le début des années 1990, les moyens de diagnostic se soient significativement améliorés pour la SEP : de notoriété publique, l’IRM est devenue l’examen de référence pour les neurologues8. Or, dans la mesure où cet examen n’est jamais prescrit en dépistage de masse, mais simplement sur un tableau clinique déjà suspect (qu’il peut confirmer ou infirmer), il va de soi que toutes choses égales par ailleurs, là encore, la généralisation de cet examen (ou de tout autre examen comme les potentiels évoqués) aurait dû se solder par une diminution du nombre de diagnostics portés, et non par une augmentation. C’est d’ailleurs ce que l’on observe à l’examen des dossiers cliniques : les neurologues sont bien plus réticents, aujourd’hui, à poser un diagnostic de SEP que lors des années 1980.
  • Dès lors qu’on s’abstient de les interroger sur l’épineuse question de l’étiologie, les spécialistes de la maladie ne contestent pas la réalité d’une augmentation de fréquence : « la sclérose en plaques est en augmentation, surtout chez les femmes et on ne sait pas pourquoi », confiait récemment à Ouest-France (25/05/10) Th. Moreau, professeur de neurologie au CHU de Dijon et vice-président de l’Association de recherches contre la sclérose en plaques.

Deux poids, deux mesures

Il est donc extrêmement difficile de comprendre la disproportion entre l’énergie déployée par les médias, les autorités ou les politiques relativement au petit millier de victimes hypothétiquement attribuées à Mediator et leur placidité devant ces quelque 60 000 sclérosés en plaques supplémentaires, brutalement apparus dans le paysage français 9 alors que:

  • oubliée sa frénésie à entreprendre des “études” pour lesquelles elle n’a ni la compétence, ni les moyens, la CNAM s’applique cette fois à contester la signification de ses propres statistiques sous les vaseux prétextes dont la fausseté vient d’être démontrée;
  • les autorités sanitaires ne craignent pas de recourir à la tromperie pour renforcer l’exposition des gens aux agents médicamenteux les plus clairement suspects dans cette épidémie de SEP (jusqu’à preuve du contraire…);
  • même dûment alertés, certains depuis fort longtemps, les politiques se gardent bien d’intervenir et d'”exiger” des autorités sanitaires la transmission de quelque document que ce soit.

Un exemple parmi bien d’autres, disais-je plus haut. Quels autres? Eh bien outre les médicaments d’ores et déjà retirés mais dont on attend toujours un bilan iatrogène tant soit peu précis (Isoméride, Acomplia, Avandia, etc.) – pour ne point parler d’une sanction judiciaire (hormone de croissance, où les principaux responsables du scandale – notamment les représentants de l’administration sanitaire – ont été relaxés au terme d’une instruction aussi interminable qu’indigente), il suffit de se baisser pour trouver des médicaments qui contribuent très significativement à la fortune des fabricants et à la ruine de notre assurance maladie, alors qu’ils devraient appeler pour le moins une réévaluation indépendante et rigoureuse de leurs bénéfices, de leurs risques et de leur coût (pour ne point parler d’un minimum de conscientisation chez les politiques). Citons en vrac et sans esprit d’exhaustivité:

  • les fluoroquinolones, que les dernières Recommandations de bonnes pratiques diffusées par l’AFSSAPS en 2008 ne craignent pas de recommander dans le traitement des cystites non compliquées, malgré la toxicité inhabituelle de cette classe qui a déjà vu pas moins de quatre agents retirés du marché mondial;
  • les statines;
  • Plavix comparé à l’aspirine à dose minime;
  • les héparines de bas poids moléculaire;
  • Tamiflu;
  • les antidépresseurs inhibiteurs de la sérotonine (Prozac, Deroxat, Zoloft, etc.), dont certains bons auteurs se demandent toujours s’ils sont tellement plus efficaces qu’un placebo;
  • la fameuse hormone franco-française qui, à en croire les experts… du fabricant (lesquels s’obstinent à dissimuler leurs liens), garantit aux femmes ménopausées qu’elles ne succomberont pas aux innombrables complications qui ont été mises en évidence aux USA, seul pays où les autorités sanitaires ont eu à coeur de mener des études sérieuses;
  • les traitements de l’enfant dit “hyperactif”;
  • les génériques, n’en déplaise à La Revue Prescrire et aux mutuelles;
  • le traitement du “syndrome des jambes sans repos” qui s’est substitué aux vieux veinotoniques, mais à un coût financier et iatrogène sans commune mesure (n’en déplaise, là encore, à l’excellente Revue Prescrire et aux mutuelles qui ont applaudi comme des imbéciles au déremboursement des seconds);
  • les “traitements” de la maladie d’Alzheimer (défense de rire);
  • etc.

J’ai dû en passer, et des meilleures – et je n’ai encore rien dit sur la scandaleuse surmédicalisation des sujets âgés…

A qui ça profite ?

Ainsi documenté que l’affaire Mediator qui n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de scandales, à qui profite l’exagération médiatique qui a justifié le présent article?

  • Les autorités ont-elles décidé que, eu égard à l’âge du fondateur, “le système Servier” avait vécu et qu’il convenait de l’affaiblir suffisamment pour faciliter la transmission prochaine du numéro deux de l’industrie pharmaceutique française?
  • S’agit-il de détourner l’attention relativement à d’autres problèmes bien plus actuels de sécurité médicamenteuse, tels que, par exemple, les risques des vaccins contre la grippe?
  • Plus profondément, ne s’agit-il pas d’organiser le bruit de fond permettant aux députés européens de voter, dans l’indifférence générale, la nouvelle directive de pharmacovigilance – réglementation scélérate, dont pas un seul n’a mesuré la portée, et qui vise à généraliser le précédent du vaccin contre la grippe porcine en accélérant au-delà du tolérable l’autorisation des médicaments sous la fallacieuse promesse d’une pharmacovigilance dont on voit bien qu’elle est strictement inopérante (qu’il s’agisse de Mediator ou de n’importe quoi d’autre)?

Post-Scriptum du 22/11/10

L’émission C dans l’air du 19/11/10 ouvre quelques pistes additionnelles relativement à ma question initiale “à qui ça profite?”.

  • On a pu voir en direct une représentante de l’AFSSAPS vanter la proactivité de son administration, sur une motivation certes indigente, mais parfaitement susceptible d’être reprise en boucle: l’auteur du livre sur Mediator ne craignant pas de reprendre à son compte, plus de 10 ans après des faits parfaitement documentables, les falsifications rétrospectives de l’administration sanitaire relativement à l’affaire Isoméride, on ne voit pas pourquoi le même jeu ne pourrait pas se reproduire identiquement à propos de Mediator.
  • Les estimations tirées des pseudo “études” de l’AFSSAPS (ou de la CNAM) sont tellement indigentes qu’elles ouvrent un boulevard au fabricant pour dénoncer la légèreté des autorités sanitaires, comme illustré par l’intervention de Jacques Servier dans Le Monde du 20/11/10.

Dans un prochain article, nous reviendrons sur la vraie histoire Isoméride: nous prendrons la mesure et de la duplicité des autorités sanitaires, et de la légèreté de ceux ou celles qui prennent aujourd’hui pour argent comptant les falsifications desdites autorités…

Post-Scriptum du 26/08/2016

“Tout vient à point à qui sait attendre” : près de six ans après la mise en ligne du présent article, Irène Frachon s’en prend à ceux qui critiquent la politique vaccinale française, avec une profondeur d’argumentation que ne démentiraient ni Madame Hurel, ni les pires scientigourdes en service commandé pour Big Pharma. Si elle avait la moindre intelligence de ce qu’elle prétend dénoncer avec tant d’arrogance, elle aurait compris que les vaccinations sont devenues l’un des principaux modes opératoires de la criminalité médico-pharmaceutique: en foi de quoi, elle aurait évité – en 2010 – de détourner l’attention du scandale mondial et sans précédent concernant la “pandémie” H1N1 vers la micro-anecdote Mediator. Mais elle a eu les bravos qu’elle méritait, à commencer par ceux du LEEM, pour ne point parler des pires crapules de l’administration sanitaire qui se sont associés à ses vertueuses protestations… Chaque jour qui passe permet de vérifier que conformément à une prédiction elle aussi ancienne, la situation n’a cessé de s’aggraver – et je maintiens que la mystification Mediator a très significativement contribué à ce désastre.

  1. Rappelons à toutes fins utiles qu’il a fallu moins de 18 mois aux secondes pour retirer du marché des produits qui, chez nous, ont contribué à la fortune de son fabricant durant plus de 35 ans et que les premières ont encore eu besoin de 3 jours après la décision radicale des secondes pour prendre du bout des lèvres une mesure temporaire (1 an) de simple suspension… Rappelons également qu’il n’a pas fallu plus longtemps aux autorités américaines pour identifier ces atteintes valvulaires strictement ignorées chez nous jusqu’alors, et dont on ne parvient toujours pas à comprendre comment elles ne ressortent pas de l’étude que l’auteur se targue d’avoir mise en place, laquelle retombe toujours sur Mediator et jamais sur Isoméride…
  2. Gallou, M., et al., [Epidemiology of multiple sclerosis in Brittany]. Presse Med, 1983. 12(16): p. 995-9.
  3. Berr, C., et al., Risk factors in multiple sclerosis: a population-based case-control study in Hautes-Pyrenees, France. Acta Neurol Scand, 1989. 80(1): p. 46-50.
  4. Delasnerie-Laupretre, N. and A. Alperovitch, Epidémiologie de la sclérose en plaques. Revue du Praticien, 1991. 41: p. 1884-1887.
  5. Confavreux, C. and L. Ginoux, Scléroses en plaques. Revue du Praticien, 2002. 52: p. 529-37.
  6. Elaboration de la loi d’orientation de santé publique : rapport du Groupe Technique National de Définition des Objectifs. Paris, Ministère de la santé, 2003
  7. Weill A et coll. Pratiques et organisation des soins 2006 ; 37 : 173-188.
  8. « Il suffit d’un examen IRM pour poser le diagnostic de manière sûre » (C. Lubetzki, Libération.fr, 26/05/2010)
  9. Dont un bon nombre d’enfants alors que, jusqu’alors, la maladie ne se développait qu’exceptionnellement à cet âge